
ÉDITORIAL. L’industrie traverse une énième crise de surcapacité. Il y a des causes objectives, comme la chute de la demande chinoise et la force du franc. En réalité, le secteur a aussi un ennemi intérieur: les marques qui refusent d’apprendre à gérer leur croissance
L’industrie horlogère est en train de danser sur la tête. Les temps sont durs mais, dans les ateliers de l’Arc jurassien, on entend tout et son contraire. Pour certains, 2024 est cataclysmique, pour d’autres, c’est un exercice record. Les premiers s’accrochent au bras de l’Etat et comptent sur le filet de la réduction de l’horaire de travail (RHT) pour tenir jusqu’à la prochaine reprise. Les seconds font turbiner leurs équipes, y compris le samedi.
Plusieurs causes sont identifiables. La première est la chute de la demande en Chine, accompagnée du black-out de Hongkong. Accessoirement, on notera aussi la force du franc, qui est évidemment un facteur aggravant, mais pas déterminant – sinon, l’horlogerie se serait éteinte depuis longtemps.
En réalité, les difficultés que le secteur connaît en ce moment viennent principalement de l’intérieur. Ce sont les marques elles-mêmes qui s’avèrent toxiques. Ce sont elles qui pilotent, contrôlent les gaz et les freins, mais justement ne contrôlent rien. Accélération trop rapide, freinage trop brusque et trop tardif. On s’y est tellement habitué que c’est devenu la norme. Fatalité d’une activité que l’on pense cyclique par nature.
Un paradoxe de l’horlogerie
La crise actuelle est symptomatique. Elle fait suite à trois années de croissance fulgurante. La demande enfle, les marques se croient plus grandes qu’elles ne le sont et mettent la sous-traitance sous pression. Cette dernière est alors en sous-capacité. Elle investit, engage, forme. Puis le vent tourne. La demande tombe et l’industrie se retrouve en surcapacité.
Paradoxe de l’horlogerie, car la tendance longue est connue et va vers la diminution endémique des volumes. En vingt ans, la production de montres suisses a été divisée par deux. Dans le même temps, la valeur a quasiment doublé. Démontrant la concentration sur le haut et le très haut de gamme. A un niveau qui devient alarmant: le seul segment qui fonctionne encore se situe à un prix public moyen de 25 000 francs. En réalité, il faut encore monter plus haut, à 75 000 francs et au-delà, pour trouver de la croissance.
Personne ne sait quand et si le marché se reprendra. Mais une chose paraît certaine, il y aura moins de lumière au bout du tunnel. La carte est tracée. Le miracle chinois a déjà eu lieu. L’Inde est encore un relais incertain. Dans ce contexte, on serait tenté de laisser agir «la main invisible» du marché. Mais trop d’emplois sont en jeu pour que l’Etat retire son filet de sécurité – la RHT en particulier – même si, au final, il sert à protéger la consommation de biens d’ultra-luxe. Il serait temps de revoir la copie et de penser à des mesures non conventionnelles. Une taxe à l’exportation par exemple.