
Le départ présumé de deux ex-associés de Pictet vers l’Italie résulte d’une perception que la qualité de vie se dégrade au bout du lac, alors que des pays voisins offrent une fiscalité et un cadre de vie plus attractifs qu’auparavant
L’expatriation des deux anciens associés de Pictet vers l’Italie secoue la Genève financière depuis la révélation par la Tribune de Genève de ces mouvements – non confirmés par les intéressés, dont Renaud de Planta, ancien associé senior de la banque entre 2019 et 2024. En toile le fond se trouvent des éléments dont on entend régulièrement parler lors des conversations off the record avec des membres de ces milieux ces dernières années. Si Genève est perçue comme étant moins attractive pour les grandes fortunes, c’est le résultat de deux tendances.
D’un côté, la dégradation, au moins ressentie, de la qualité de vie dans le canton du bout du lac. La fiscalité en constitue un composant important, avec l’impôt sur les personnes physiques le plus élevé de Suisse, mais pas le seul. Micros éteints, des financiers ou hommes d’affaires ayant bien réussi estiment se sentir moins bienvenus dans l’une des capitales mondiales de la gestion de fortune, à la suite des initiatives populaires comme celle des Jeunes socialistes sur les successions.
Récemment, la problématique des home-jackings est également (ré-)apparue dans ces discussions. Ces agressions à domicile sont d’autant plus traumatisantes qu’elles sont souvent d’une extrême violence. Et qu’historiquement, elles ne se produisaient pas à Genève.
Hospitalité fiscale
De l’autre côté, une offre fiscale attractive est apparue dans des pays proches, en Europe. L’Italie en est l’exemple le plus spectaculaire et rencontre actuellement le plus de succès, grâce à une initiative de l’ex-premier ministre – de centre gauche – Matteo Renzi. La Grèce ou encore la Belgique proposent également des régimes équivalents à l’emblématique forfait fiscal suisse.
Chez nous, les seuils minimaux ont été relevés pour cette imposition selon la dépense estimée des individus. De manière générale, l’accessibilité à ce symbole de l’hospitalité suisse a été resserrée. A l’inverse, à quelques heures d’avion ou de voiture, des capitales européennes déroulent le tapis rouge aux riches étrangers, qui peuvent aussi avoir des liens familiaux avec les pays en question.
En plus d’impôts plancher (sur le revenu mais aussi en cas de succession ou de donation), ces derniers leur offrent aussi le cadre de vie de grandes villes, qui contraste avec la dimension «à taille humaine» de Genève.
Concurrence et liberté
En termes de fiscalité, la roue a donc tourné. Pendant des décennies, Genève et la Suisse en général ne se sont guère émues d’aspirer les fortunes étrangères, longtemps en leur permettant d’esquiver totalement l’impôt dans leur pays d’origine. Aujourd’hui, le départ de grands contribuables genevois montre les limites de l’attractivité du canton et du pays.
Une autre nouveauté apparaît également: historiquement, les membres des familles patriciennes demeuraient dans le canton à l’issue de leur carrière et continuaient à y être imposés, à pratiquer la philanthropie et soutenir diverses causes. Partir ne se faisait pas, tout simplement. Les temps ont changé. On peut y voir un surcroît de liberté individuelle. D’autres penchent pour un manque de reconnaissance envers le terroir qui leur a permis de réussir.
Il y a un peu plus d’un an, Renaud de Planta exprimait dans Le Temps ses craintes d’une perte de compétitivité de la place financière genevoise, dans une interview réalisée lors de son départ de Pictet. Le banquier recommandait en particulier de «pérenniser les recettes fiscales et la présence des gros contribuables. Ce qui n’[était] pas acquis» à l’époque. Il ne s’agissait probablement pas d’une menace voilée glissée à titre personnel. Plutôt une analyse lucide de la perception du canton par certains de ses résidents les plus aisés.
Le pire dans tout cela serait que les banquiers genevois qui ont apparemment changé d’air fiscal aient aussi déplacé leur fortune. Après avoir répété toute leur carrière que Genève et la Suisse restaient des endroits idéaux pour déposer des avoirs, avec la stabilité juridique et politique, la force du franc, l’expertise des banques, etc. Il existe une expression anglaise pour ce genre de situation: «to add insult to injury» – «ajouter l’insulte à la blessure». En italien, cela se dit «ajouter la moquerie à la blessure». Ce scénario paraît quand même extrêmement peu probable.