
En crise, le business du fret maritime est devenu trop risqué. Le gouvernement ne veut pas reconduire le crédit-cadre de cautionnement à la flotte commerciale suisse
Ils acheminent du riz, du blé, de l’huile de palme, ou encore du pétrole jusqu’à la terre ferme. Cinquante navires battent aujourd’hui pavillon suisse et forment la flotte commerciale du pays. Une tuile vient de tomber sur la tête des sociétés d’armateurs qui gèrent ces cargos, dont la moitié est domiciliée à Zurich, l’autre moitié sur les bords du Léman. Le Conseil fédéral propose au Parlement de ne pas renouveler le crédit-cadre de cautionnement pour la promotion de la flotte de haute mer.
Au nom de la sécurité de l’approvisionnement du pays, la Confédération octroie en effet des garanties aux armateurs en cas de besoin. Il s’agit de pouvoir réquisitionner les cargos si une crise survient, de manière à assurer que la Suisse soit toujours livrée en marchandises. Le crédit-cadre de cautionnement, porté à 1,1 milliard de francs par le Parlement en 2008, arrive à son échéance à fin 2017. Le Conseil fédéral souhaite en rester là, comme il l’a communiqué mercredi.
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Le secteur du transport maritime se porte en effet très mal à cause de l’essoufflement de l’économie mondiale. Un rapport du Département fédéral de l’économie publié mercredi fait le point. «La crise qui touche le secteur de la navigation est particulièrement grave et exceptionnelle par sa durée», lit-on. A travers le monde, «actuellement, 329 navires-porte-conteneurs cherchent désespérément une cargaison. […] La grave crise économique que traverse la navigation maritime entraînera des restructurations dans tout le marché, menaçant l’existence même des petites compagnies d’armement.»
Une bombe à retardement
En résumé, le secteur est une bombe à retardement et on approche du déclenchement du minuteur. Le Conseil fédéral veut éviter de prendre le risque d’engager des millions à perte. Un crédit de cautionnement n’est utilisé qu’en cas de nécessité. Et jusqu’à présent, le risque était contenu. «Pas un centime n’a dû être versé» jusqu’à fin 2015, nous assurait Beat Gujer, chef d’état-major de l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique, en avril.
Et aujourd’hui? «En 2016, deux crédits ont été octroyés sur la base d’engagements légaux contraignants antérieurs», répond l’office sur demande. Il ne veut pas dire en revanche sur quels montants portent ces crédits ni le nombre de sociétés d’armateurs en difficulté aujourd’hui.
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Le désengagement tel que le prévoit le Conseil fédéral est progressif. Les cautionnements actuels seront honorés. Les dernières garanties prendront fin en 2031. Et quid en cas de crise? «Il faut relativiser l’importance des navires de haute mer pour la sécurité d’approvisionnement de la Suisse», estime aujourd’hui le gouvernement: dans le pire des cas, le maintien de douze navires suffirait en 2027 à la Suisse pour assurer son approvisionnement.
Lien indirect avec la RIE III
Pour certains armateurs domiciliés en Suisse, la mauvaise nouvelle se conjugue avec la perspective de hausses des charges fiscales, par le biais de la troisième réforme de l’imposition des entreprises qui ne leur permettra plus de bénéficier d’un statut spécial.
Maire de Genève, où est domicilié MSC, le plus gros armateur de l’arc lémanique, le conseiller national Guillaume Barazzone (PDC) adopte une approche nuancée: «Il est important que la Confédération ne prenne pas trop de risques financiers dans ce domaine. Mais il est aussi indispensable qu’elle développe de bonnes conditions-cadres pour les activités de transport maritime et de personnes. Et c’est faisable par le biais de la fiscalité et de la taxe au tonnage.»
Cet instrument a été sorti de la troisième réforme fiscale des entreprises pour être traité à part. Sa constitutionnalité fait débat. «Nous sommes l’un des seuls pays occidentaux à ne pas bénéficier de cette incitation fiscale, alors que la Suisse est la 25e puissance maritime mondiale. Cet outil ne coûterait rien et permettrait d’attirer encore davantage de sociétés, d’emplois et de substance fiscale», argumente Guillaume Barazzone. Une consultation devrait être ouverte en 2017.