
L’ancien gestionnaire de fortune jugé à Genève a prélevé des honoraires supérieurs à ce qui avait été convenu, souvent oralement. Sur les 10 millions de dollars qu’il aurait fait valser entre ses clients, la cour n’a pas trouvé où est passé le million qui lui serait revenu
Il a beaucoup été question d’argent au deuxième jour du procès de l’ex-gérant indépendant genevois accusé d’avoir détourné quelque 10 millions de dollars au préjudice d’une douzaine de ses clients. Les revenus de G* et la façon dont il les a dépensés ont notamment été passés au crible.
A son compte depuis 2003, G pratiquait des honoraires de gestion à géométrie variable, fixés à 1% pour un client, à 0,5% pour un autre ou à 0% pour ceux qui préféraient qu’il se rémunère via des rétrocommissions versées par les banques hébergeant les comptes des clients. Cette tarification était même à géométrie très variable, puisque G est accusé d’avoir encaissé des frais de gestion supérieurs à ce qui avait été convenu avec ses clients. Ce qui constituerait de la gestion déloyale, un chef d’accusation qui s’ajoute à ceux d’escroquerie et de faux dans les titres.
Dans un cas, G a ainsi prélevé près de 2 millions de dollars entre 2005 et 2018, alors qu’un peu plus de 66 000 dollars d’honoraires étaient prévus par une note manuscrite ajoutée au contrat de gestion. En plus, il a conservé les 300 000 francs de rétrocessions que ce compte avait générés. A un autre client, G a ponctionné l’équivalent de plus de 600 000 francs d’honoraires alors que 47 000 francs étaient prévus par contrat, tout en gardant près de 57 000 francs de rétrocessions. Ces plaignants, tous comme lui d’origine turque et souvent proches de sa belle-famille apparemment elle-même fortunée, affichaient des avoirs compris entre 3 à 4 millions de dollars, selon les relevés de compte – falsifiés – que leur avait fournis G.
### Accord oral vs contrat écrit
C’est que les contrats écrits ne faisaient pas toujours foi, selon G, qui les voyait surtout comme des documents à ajouter au dossier consacré à la lutte contre le blanchiment. Ses honoraires étaient souvent fixés oralement avec ses clients, mais il reconnaît qu’ils étaient indus lorsqu’ils dépassaient les valeurs convenues. Etait-il usuel en Turquie que l’oral l’emporte? Un des plaignants interrogés mardi, un homme d’affaires qui a déposé plainte pénale contre G en Turquie, le conteste catégoriquement.
Concernant son plus important client, G estime en revanche que tous les frais de gestion qu’il a encaissés lui étaient dus, avec l’accord du client, vu qu’il lui consacrait 30 à 40% de son temps. Un individu particulièrement exigeant, à tel point que pour répondre à ses demandes, G explique avoir commencé à puiser dans les comptes des autres plaignants. Auprès desquels, parfois en pleurs, il s’est à nouveau excusé, décrivant avoir agi «comme un automate, sans conscience des conséquences».
### Pression sur les revenus
L’ex-gérant met aussi ses errements sur le compte de son manque de professionnalisme. Tout allait bien tant qu’il était employé de la Banque
LLOYDS à Genève, mais une fois à son compte, il n’a plus réussi à gérer son activité, affirme-t-il. Il recevait des rétrocessions pour l’ensemble de ses clients mais ne les a jamais ventilées entre ces différentes relations d’affaires, ni vraiment documentées.
Son manque de rigueur l’a même desservi lorsqu’il a prélevé des honoraires inférieurs à ceux que lui attribuait le contrat conclu avec un client. Et en arrière-plan, les avoirs qui lui sont confiés baissent de manière régulière, et encore plus rapidement avec l’amnistie fiscale turque de 2016. De 50 millions en 2010, sa masse sous gestion tombe à 30 millions en 2019, ce qui signifie mécaniquement moins de revenus pour G et sa société.
### Où est passé le million?
Sur les quelque 10 millions de dollars qu’il a fait circuler entre les comptes des plaignants, un peu plus d’un million lui aurait bénéficié personnellement. Où est passé cet argent, a voulu savoir la cour? Hypothèque, frais d’écoles privées pour ses quatre enfants, rénovations dans le logement familial: rien d’extravagant ne ressort des discussions et il ne reste rien sur ses comptes.
Le président creuse encore, s’étonne que G ne se souvienne pas avoir retiré plus de 100 000 francs en cash en quelques jours fin 2015 – «Vous êtes sûr que vous ne conduisiez qu’une Volvo?». Jusqu’à ce que l’avocat de G sorte la calculatrice.
Les seuls frais d’écolage des enfants de G ont dépassé un million de francs, sur plus de quinze ans. Son bateau, pour lequel il avait détourné un demi-million, lui a coûté plus de 900 000 francs en comptant l’entretien. Le navire a depuis été vendu pour un quart de cette somme et l’épouse de G assume les dépenses du ménage. «Tout est parti comme de l’eau, assure G, à cause de mon inaptitude à exercer dans la finance, nous n’avons jamais fait de dépenses somptuaires.» Les débats se poursuivent ce mercredi.
\* Nom connu de la rédaction