CHRONIQUE. En danois «leg godt» veut dire «joue bien». Aujourd’hui, on estime qu’environ 100 millions d’enfants «jouent bien», avec les jouets du numéro un mondial. Pourtant, ce succès était tout sauf une évidence
L’évolution de l’entreprise Lego est un parfait exemple de la dynamique presque biologique du capitalisme, décrit par Joseph Schumpeter comme un système qui «révolutionne incessamment de l’intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs».
Dans La Saga Lego, Jens Andersen raconte que quand Ole Kirk Christiansen s’installe à Billund (Danemark) en 1916 pour gérer l’atelier de menuiserie qu’il vient d’acheter, c’est un petit village qui compte à peine une centaine d’habitants. De nos jours, deux millions de touristes s’y ruent chaque année pour visiter le parc Legoland.
Les premières années sont difficiles, les commandes sont rares et la menuiserie brûle à plusieurs reprises. Le fondateur se rend à l’évidence, son entreprise ne peut pas survivre dans cette constellation. Durant l’été 1932, il réoriente son catalogue de produits et se concentre sur les jouets en bois. Dans son entourage, cette décision fait l’unanimité… contre elle. Les jouets sont vus comme des produits superflus, qui ne sont pas à la hauteur de son savoir-faire. Après des débuts difficiles, la réorientation paie. Au point qu’il devient important de trouver un nom à la marque. Lego, qui veut dire «joue bien» en danois, est né.
### Un changement de matière contesté
C’est une innovation qui va faire changer Lego de dimension. Au Danemark, il est alors interdit de vendre des répliques d’armes à feu. En automne 1945, une fois la Deuxième Guerre mondiale terminée, cette interdiction tombe. Lego rencontre un succès de masse avec son «pistolet de paix» en bois. Incapable de faire face à la demande en raison d’une pénurie de bois de qualité, Ole Kirk Christiansen est obligé de réfléchir à des matériaux de substitutions. Parmi les options possibles figure le plastique. Personne ne l’utilise à cette époque dans l’industrie du jouet au Danemark. Les machines et la matière première sont chères et difficiles à trouver.
Pourtant, Christiansen fonce. Comme souvent, ses décisions suscitent du scepticisme. Le chef des finances craint pour les liquidités de l’entreprise. Son fils Godtfred Kirk Christiansen, qui lui succédera plus tard comme directeur de Lego y est même carrément opposé. Pour lui, «l’avenir du plastique ne paraît pas spécialement prometteur […], il ne remplacera jamais les jouets en bois». Les deux hommes espèrent que cette coûteuse lubie du chef finira par passer.
Or, les jouets en plastique font rapidement un tabac et finissent par «cannibaliser» leurs concurrents en bois, qui disparaissent de l’offre. Au point de rendre possible une expansion internationale. Quand Godtfred Kirk Christiansen imagine une stratégie pour s’implanter sur le marché allemand, on lui répond que c’est illusoire: «Vendre des jouets aux Allemands, ce serait comme vendre du sable au Sahara.»
La réalité sera tout autre. En quelques années, il se vend davantage de Lego en Allemagne qu’au Danemark. S’ensuivront plusieurs décennies de succès et de développement du catalogue. Aujourd’hui, on estime qu’environ 100 millions de personnes «jouent bien», avec les objets du numéro un mondial. En 1999, la brique Lego est même nommée «jouet du siècle». Grâce à d’astucieux partenariats, notamment avec des géants comme _Star Wars_ ou _Harry Potter_, l’entreprise parvient à éviter la faillite, non sans quelques frayeurs, qu’on lui prédisait à l’arrivée des jeux vidéo puis des smartphones.
La prochaine fois que vous marcherez sur les Lego de vos enfants la nuit, vous pourrez vous rassurer. Même dans la famille Christiansen, certains trouvaient ces briques en plastique énervantes et elles finiront sans doute par se faire remplacer par une autre innovation.
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