
ÉDITORIAL. Le chef de la Maison-Blanche a humilié jeudi en public le président de la Fed qu’il aimerait licencier. Ce faisant, Donald Trump joue avec l’indépendance et la crédibilité de la banque centrale. Le cas échéant, le risque de décrochage des marchés est réel
On peut considérer la dernière humiliation de Donald Trump comme un énième épisode sans conséquence d’un président des Etats-Unis qui a fait de cette pratique une preuve absurde de sa force. En méprisant Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale, devant les caméras lors d’une visite de la banque centrale américaine, le chef de la Maison-Blanche sape l’un des éléments qui ont fait la force de la première puissance mondiale: une Fed indépendante capable de prendre des décisions impopulaires pour le bien de l’économie. Il fustige depuis des mois le banquier central qu’il a lui-même nommé, le décrivant tantôt comme «stupide», tantôt comme «mentalement très moyen». Ce faisant, il crée, même s’il n’est pas certain qu’il en ait le pouvoir, les conditions pour le licencier avant la fin de son mandat en mai 2026.
Il n’est pas le premier président à jouer avec l’indépendance et la crédibilité de la Fed. Peu avant les élections présidentielles de 1972, Richard Nixon avait tordu le bras d’Arthur Burns pour qu’il maintienne des taux d’intérêt bas. Le résultat fut catastrophique. L’Amérique plongea dans une période de haute inflation (Great Inflation) que le successeur à la présidence de la Fed, Paul Volcker, avait eu toutes les peines du monde à dompter.
Polarisation extrême
L’obsession de Donald Trump pour exiger une baisse des taux s’entrechoque avec la politique de droits de douane tous azimuts et avec une méga-loi budgétaire adoptée début juillet, qui ont le potentiel de jeter de l’huile sur le feu inflationniste.
Le Congrès a pourtant édicté les objectifs de la banque centrale: garantir l’emploi et la stabilité des prix (objectif: 2% d’inflation). Pour l’économie et les marchés financiers, le moment est extrêmement dangereux. L’administration Trump a déjà fragilisé les bons du Trésor américain et le dollar en tant que monnaie de réserve mondiale en menant une politique budgétaire jugée irresponsable et sanctionnée par l’agence de notation Moody’s. Janet Yellen, l’ex-présidente de la Réserve fédérale sous Barack Obama puis sous Donald Trump, tire la sonnette d’alarme. Le service de la dette américaine (plus de 36 000 milliards de dollars, soit environ 120% du PIB) est le poste le plus important en termes de dépenses après la Défense. Mais elle estime que financer les déficits en baissant les taux est une politique digne des «républiques bananières».
La polarisation politique extrême aux Etats-Unis a déjà touché la quasi-totalité des institutions du pays dont la Cour suprême. La Fed n’y échappe pas. Dans un contexte international et national très tendu, laisser la Maison-Blanche se mêler de politique monétaire aurait des répercussions très néfastes sur les marchés et l’économie réelle. Un limogeage de Jerome Powell serait à n’en pas douter très dommageable. Mais même sans cela, son remplacement en mai 2026 par un président de la Fed à la botte de Donald Trump pourrait porter un coup fatal à l’autorité de la banque centrale.