CHRONIQUE. Trop satisfaite de se gausser des échecs d’autres pays, la Suisse oublie que son avance n’a rien de magique et d’éternel. Or, un contre-modèle a besoin d’une conviction culturelle pour se perpétuer
Lauréat du Prix Nobel de littérature 1919, Carl Spitteler avait pour habitude de paraphraser la modestie helvétique en disant que «si les Suisses avaient créé les Alpes eux-mêmes, elles ne seraient pas si hautes». Quand l’écrivain Vaudois Charles Ferdinand Ramuz débarque à Paris au début des années 1900, il s’interroge lui aussi au sujet des différences qui opposent son pays de naissance à celui qui l’accueille. Pour lui, la différence de tempérament des Helvètes s’explique par le fait qu’en Suisse «la nature impose seule ses monuments aux regards, et ils sont grands, tellement grands qu’ils ont peut-être découragé l’homme. […] Tant de grandeur a fini par nous intimider. Nous nous taisons devant nos montagnes.» Cette lucide reconnaissance de notre modestie se cristallise dans les institutions de la Suisse moderne. Celles-ci consacrent le fait que notre véritable grandeur réside dans la compréhension que notre épanouissement puise sa source dans notre petitesse et notre désir commun de liberté.
Bien évidemment, la modestie n’est pas positive en soi. Elle peut même être source d’immobilisme, si elle coupe les ailes des ambitions nécessaires. L’écrivain alémanique Hugo Loetscher disait avec malice que «si Dieu avait été Suisse, il serait toujours en train d’attendre le moment favorable pour créer le monde». Le risque existe. Toutefois, malgré sa propension à couper les têtes qui dépassent, la Suisse a presque toujours su échapper, au fil de son histoire moderne, à l’inertie.
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