La Commission européenne part en guerre contre le monopole de la poste. Elle propose d'ouvrir à la concurrence l'envoi des lettres pesant plus de 50 grammes. Le débat s'annonce vif
Le projet n'est pas encore approuvé qu'il est déjà critiqué par plusieurs Etats membres – France en tête – et par les opérateurs privés, qui le jugent trop timide. Après des semaines de débats internes, la Commission de Bruxelles propose aujourd'hui aux Quinze d'ouvrir davantage à la concurrence les services postaux au sein de l'Union européenne.
Selon le projet de directive (loi) européenne que le commissaire chargé du Marché unique, le très libéral Frits Bolkestein, espère faire entériner par ses collègues, la libéralisation accrue de la poste s'articulera en deux phases. A partir de 2003, le poids des lettres réservées au monopole public devrait être abaissé à 50 grammes (contre 350 aujourd'hui), ce qui représentera une libéralisation supplémentaire de 27% par rapport à la situation actuelle.
A la même date, la libéralisation sera également totale pour le courrier publicitaire «adressé» (un seuil de 50 grammes subsiste aujourd'hui pour le publipostage dans certains pays) et le courrier transfrontière «sortant». Aucune échéance n'est en revanche prévue pour l'ouverture à la concurrence du courrier «entrant». Consciente des problèmes de financement que cette libéralisation pourrait poser pour le service universel, la Commission envisage de la retarder à 2007.
Les Quinze devront se prononcer sur cette ultime phase d'ici à la fin 2005, sur la base d'une nouvelle proposition et d'une étude d'impact présentées par Bruxelles un an plus tôt.
«Ce processus planifié, fait valoir Frits Bolkestein, laissera tout le temps nécessaire au marché dans son ensemble, et aux prestataires du service universel en particulier, pour mener à bien la modernisation structurelle nécessaire et s'adapter à une concurrence accrue dans un contexte réglementaire stable et prévisible.» Les conditions seraient d'autant plus «favorables» que le marché de la poste aux lettres connaît une croissance de 2 à 3% par an et que de nouveaux produits voient le jour grâce au développement du commerce électronique.
La Suède et la Finlande à l'avant-garde
Plusieurs Etats membres n'ont d'ailleurs pas attendu ces propositions pour aller de l'avant. Le monopole de la poste n'est déjà plus qu'un vieux et lointain souvenir en Suède et en Finlande. En Espagne, le courrier local et le publipostage sont libéralisés. Le courrier publicitaire «adressé» est également ouvert à la concurrence aux Pays-Bas, où la limite de poids pour les lettres réservées à la poste est fixée à 100 grammes seulement.
Autre argument justifiant cette libéralisation accrue aux yeux de la Commission: de plus en plus d'opérateurs privés accusent leurs concurrents publics de financer une partie de leurs nouvelles activités (les services de courrier express par exemple) avec les recettes de la distribution de lettres. Hasard du calendrier: les services de Mario Monti, commissaire à la Concurrence, ont ouvert hier une enquête contre la Deutsche Post pour abus de position dominante sur le marché de la réexpédition. Cette technique, qui permet d'envoyer du courrier depuis des pays où les tarifs postaux sont plus avantageux, est utilisée par les grandes entreprises pour réduire leurs frais.
L'exécutif communautaire jure ses grands dieux qu'il ne s'agit pas de remettre en cause les obligations de service universel. Mais plusieurs pays, à commencer par la France – elle présidera les Quinze à partir de juillet et devra donc piloter les premiers travaux législatifs sur ce sujet controversé – ont quelques doutes à ce sujet. C'est que le monopole de la poste est très lucratif: dans l'ensemble de l'Union, il génère un chiffre d'affaires annuel de 80 milliards d'euros (130 milliards de francs) et emploie 1,7 million de personnes, dont 1,4 million dans le secteur public.