
Parce qu’il n’a pas lu les petits caractères en souscrivant à un abonnement sur la plateforme de streaming, un Américain se retrouve dans l’embarras après la mort de son épouse à Disney World. Les conditions de Disney imposent de ne pas attaquer l’entreprise
Lorsqu’il crée un compte Disney en novembre 2019 sur sa PlayStation, l’Américain Jeffrey Piccolo n’a aucune idée des implications que cela aura sur son futur. Comme des millions d’autres, il veut simplement obtenir un essai gratuit du service de streaming.
Quatre ans plus tard, le 5 octobre 2023, l’homme sort dîner avec sa femme, Kanokporn Tangsuan, dans un Irish Pub de Disney World en Floride. Un établissement choisi, comme toujours, avec soin, car Kanokporn Tangsuan est allergique aux produits laitiers et aux noix. La carte du parc de Disney indique que les personnes allergiques sont les bienvenues et le serveur confirme l’absence d’allergène. Seulement moins d’une heure après le repas, l’épouse s’effondre, est conduite à l’hôpital et décède d’«une anaphylaxie due à des niveaux élevés de produits laitiers et de noix dans son organisme», selon le médecin légiste cité par les avocats de Jeffrey Piccolo, qui a déposé plainte contre Disney et l’Irish Pub.
L’affaire – tragique, mais a priori peu à même de traverser l’Atlantique – prend une nouvelle tournure la semaine dernière lorsque la presse américaine [révèle](https://www.nbcnews.com/news/us-news/disney-says-man-cant-sue-wifes-death-agreed-disney-terms-service-rcna166594) que ces deux événements, qui n’ont a priori rien à voir l’un avec l’autre, se retrouvent mis en relation par Disney. La multinationale soutient que l’affaire n’a pas sa place au tribunal, car Jeffrey Piccolo avait un compte Disney . En créant son compte en 2019, il a accepté le contrat d’abonnement où est inscrit: «… Tout litige entre vous et nous, à l’exception des petites créances, est soumis à une renonciation au recours collectif et doit être résolu par arbitrage exécutif individuel».
### Un ancien juge de la Court Suprême de Floride impliqué
«L’idée selon laquelle les conditions acceptées par un consommateur lors de la création d’un compte d’essai gratuit Disney interdiraient à jamais à ce consommateur le droit à un procès devant jury dans tout litige avec une filiale ou une société affiliée de Disney, est si scandaleusement déraisonnable et injuste qu’elle choque la conscience judiciaire», écrivent les avocats de Jeffrey Piccolo au [_Washington Post_](https://www.washingtonpost.com/nation/2024/08/15/disney-death-terms-of-service-florida/), tandis que Disney se défend de toute responsabilité dans le décès de Kanokporn Tangsuan «étant donné que ce restaurant n’appartient ni n’est exploité par Disney».
Pour David Hoffman, professeur de droit des contrats à l’Université de Pennsylvanie, interrogé par le _Post_, même si les chances de Disney de faire entendre leur argument sont plutôt maigres, la multinationale a fait un choix très judicieux tactiquement en embauchant Raoul G. Cantero III, un ancien juge de la Cour suprême de Floride devenu avocat privé. Si l’argument ne passe pas cette fois, l’embauche de Raoul G. Cantero III pourrait indiquer que «Disney souhaite transformer ses conditions de service en arme», écrit encore le _Washington Post._
«WDPR [Walt Disney Parks and Resorts US Inc.] cherche explicitement à interdire aux 150 millions d’abonnés à Disney de poursuivre une affaire de mort injustifiée contre elle devant un jury, même si les faits de l’affaire n’ont rien à voir avec Disney », argumentent aussi les avocats de Jeffrey Piccolo, dont les propos [ont été relayés](https://www.npr.org/2024/08/14/nx-s1-5074830/disney-wrongful-death-lawsuit-disney) dans une grande partie de la presse américaine.
**A propos du marché:** [Disney et Warner Bros Discovery vont lancer une offre commune de streaming](https://www.letemps.ch/economie/disney-et-warner-bros-discovery-lancent-une-offre-commune-de-streaming)
### L’arbitrage, loin des yeux du grand public
Ces dernières années, les entreprises américaines font de plus en plus recours à l’arbitrage pour régler les litiges avec leurs employés et clients – plus attrayant pour celles qui souhaitent éviter la mauvaise publicité qu’engendrent les procès. En 2018 déjà, le groupe de réflexion de gauche Economic Policy Institute [indiquait](https://www.epi.org/publication/the-growing-use-of-mandatory-arbitration-access-to-the-courts-is-now-barred-for-more-than-60-million-american-workers/) que 60 millions de travailleurs américains n’avaient pas la possibilité d’attaquer leur employeur, car contraints de signer des conventions d’arbitrage obligatoires.
Aux Etats-Unis, l’arbitrage a été inscrit dans la loi fédérale sur l’arbitrage en 1925, rappelle finalement le _Washington Post_ qui cite Jonathan Lipson, professeur de droit des contrats à l’université Temple, pour qui, il n’était alors pas question de répondre aux besoins des employés, mais d’«aider les compagnies maritimes à éviter les complexités juridiques et à mettre fin à leur litige par une négociation contraignante».