
Pilier technologique des Jeux olympiques de Paris, le géant français a réussi à boucler son plan de restructuration financière. Un accord qui laisse espérer une issue positive après une interminable saga, émaillée de nombreux rebondissements. Mais les perspectives restent très incertaines
C’est l’histoire d’un ex-fleuron de la «french tech» qui vacille depuis des années. La firme, dont la dette avoisine les 5 milliards d’euros, a perdu 98% de sa valeur en bourse en cinq ans. Maintes fois au bord du précipice, le géant français des services numériques a bouclé lundi une étape critique de son sauvetage par les créanciers.
Après le retrait fin juin du consortium mené par le premier actionnaire d’Atos, Onepoint – un petit groupe technologique français – les créanciers et les banques se sont entendus pour reprendre et sauver eux-mêmes la société. L’accord comprend 1,68 milliard d’euros (1,61 milliard de francs) de nouveaux financements de la part des créanciers existants et une augmentation de capital de 233 millions d’euros. La dette devrait être réduite d’environ 3 milliards d’euros.
Les créanciers qui n’ont pas encore signé l’accord dit de «lock-up» ont jusqu’au 22 juillet pour le faire. Fréquent dans les sauvetages, il engage les signataires à soutenir le plan toute la durée de la procédure. L’accord constitue une étape majeure dans le long feuilleton visant à sauver la tentaculaire société informatique. Depuis février, l’entreprise fait l’objet d’un processus formel de restructuration avec ses créanciers et ses banques afin d’éviter la faillite.
Le plan de financement arrive à point nommé, à moins de dix jours de l’ouverture des Jeux olympiques de Paris. Partenaire informatique du Comité international olympique (CIO) depuis 2002,
ATOS ORIGIN est l’un des piliers technologiques des JO, qui débutent le 26 juillet. L’entreprise est notamment chargée de la gestion des accréditations, de la diffusion instantanée des résultats ou encore de la cybersécurité.
Lire aussi: Pilier informatique des JO, ATOS ORIGIN choisit Onepoint pour son sauvetage### De l’infogérance aux supercalculateurs
Fruit de la fusion en 1997 des sociétés Axime et Sligos,
ATOS ORIGIN a construit son succès grâce à ses prestations d’infogérance, activité qui consiste à gérer une partie ou l’ensemble du système informatique d’une entreprise. Le groupe a ensuite élargi dans les années 2010 son champ d’action à la cybersécurité et au développement de supercalculateurs, ordinateurs dotés d’une immense puissance de calcul. Mais
ATOS ORIGIN reste peu connu du grand public, car ses activités sont complexes.
Le groupe, qui compte quelque 94 000 employés dans 69 pays, a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 10,7 milliards d’euros. Sa perte nette s’est, elle, aggravée à 3,4 milliards d’euros.
ATOS ORIGIN est également bien implanté en Suisse. Son siège helvétique est basé à Zurich, mais il dispose également de bureaux à Bâle, Berne, Nyon et Vevey.
Comment le groupe – dont la capitalisation boursière a chuté de plus de 11 milliards d’euros en 2017 à 130 millions aujourd’hui – a-t-il pu en arriver là? Déterminé à croître au pas de charge, l’un des trois mousquetaires de l’informatique en France avec
CAPGEMINI et
SOPRA GROUP STERIA a multiplié les erreurs stratégiques.
ATOS ORIGIN représente avec le distributeur Casino et l’exploitant de maisons de retraite
ORPEA le plus gros crash économique français des cinq dernières années, souligne [_Le Monde_](https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/05/07/atos-une-faillite-collective_6232020_3232.html), qui parle de «faillite collective».
### Le virage raté du cloud
Arthur Jurus, stratégiste à la banque privée Oddo BHF Suisse, identifie trois causes principales à cette débâcle. Premièrement,
ATOS ORIGIN s’est surendetté après des achats dans l’infogérance. Le groupe s’est focalisé sur des acquisitions spectaculaires, comme le rachat de la division de services informatiques de l’industriel allemand
SIEMENS, puis de l’américain Xerox. Il se retrouve aujourd’hui étranglé par le poids de son bilan.
Deuxièmement,
ATOS ORIGIN a commis une «erreur stratégique en investissant dans la gestion des serveurs des clients et non dans les serveurs directement comme les géants de la tech
MICROSOFT,
AMAZON ou Google», explique l’expert. Pendant qu’il grandit dans la gestion des centres de données de ses clients, le groupe rate le virage vers l’informatique dématérialisée _(cloud computing)_. L’arrivée du cloud chamboule le secteur: les données n’ont plus besoin d’être stockées dans un entrepôt local, mais peuvent l’être dans une entité délocalisée ailleurs dans le monde et accessible à distance. La firme tarde à s’engouffrer dans la brèche du cloud, à présent au centre de l’univers numérique.
Enfin, le groupe paie le prix de l’instabilité chronique à sa tête depuis le départ en 2019 de Thierry Breton. Six directeurs généraux se sont succédé entre novembre 2019 et janvier 2024. Actuel commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton avait pris les commandes d’Atos en 2008. Beaucoup reprochent aujourd’hui à l’ancien PDG de France Télécom et ex-ministre de l’Economie sous la présidence de Jacques Chirac sa «folie des grandeurs» dans sa stratégie d’acquisition massive. Aux mauvaises orientations et aux errements de gouvernance, s’est ajouté, selon _Le Monde_, «le manque de vigilance» du gouvernement français, resté longtemps passif face à une situation qui n’a cessé d’empirer.
### Enjeu de souveraineté
L’avenir d’Atos revêt pourtant une forte dimension politique en raison de ses activités stratégiques dans le domaine de la défense. Mi-juin, l’Etat a fait une offre de 700 millions d’euros pour acheter les activités de l’entreprise jugées sensibles, dont les supercalculateurs utilisés pour la dissuasion nucléaire française, les contrats avec l’armée française et les produits de cybersécurité. Le but est d’éviter qu’elles ne tombent entre les mains d’acteurs étrangers.
Malgré la bouffée d’oxygène que représente le plan de sauvetage,
ATOS ORIGIN est encore loin d’être tiré d’affaire. Ce nouvel accord «ne nous semble pas pérenniser à long terme la structure financière du groupe, indique Arthur Jurus, sachant qu’il faudra une parfaite exécution afin de parvenir à redresser l’entreprise sur le plan opérationnel».
Les perspectives restent défavorables et incertaines, estime l’expert, d’autant plus qu’Atos prévoit de réviser son plan d’affaires 2024-2027 pour refléter les performances actuelles et les tendances du marché. «Ce qui va probablement inclure une augmentation des besoins de nouveaux financements et une réduction supplémentaire de la dette.»