
L’année 2025 s’inscrit comme une période charnière pour les placements durables, fondés sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG)
Alors que les enjeux climatiques n’ont jamais été aussi pressants, les dynamiques politiques et géostratégiques mondiales viennent bousculer les fondements de la finance responsable. Le retour de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, le réarmement massif des pays occidentaux, la guerre en Ukraine et les déficits budgétaires croissants constituent autant de facteurs qui mettent à mal l’élan des investissements durables. Pourtant, malgré ces vents contraires, des signaux de résilience et d’adaptation émergent, dessinant les contours d’une finance durable en mutation.
Un contexte politique défavorable
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche a marqué un tournant dans la politique climatique américaine. Dès les premiers mois de son mandat, l’administration a amorcé un assouplissement massif des réglementations environnementales, remis en question les initiatives en matière de diversité et d’inclusion et révoqué la participation des Etats-Unis au financement de la transition énergétique. Cette posture entraîne des répercussions directes sur les flux de capitaux: les gestionnaires d’actifs américains ont réduit la promotion des stratégies ESG, créant une onde de choc dans ce domaine sur les marchés européens et mondiaux.
En parallèle, l’Europe, traditionnel bastion de la finance durable, fait face à ses propres contradictions. Les régulateurs européens poursuivent le renforcement des normes ESG avec l’entrée en vigueur de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), dès janvier 2026, pour les entreprises cotées, ce qui marque une étape décisive dans la standardisation du reporting ESG. Toutefois, les priorités budgétaires évoluent sous la pression des dépenses militaires et des déficits publics. Le réarmement des Etats membres, motivé par la guerre en Ukraine et les tensions géopolitiques, détourne ainsi une partie des ressources initialement allouées à la transition énergétique.
La guerre en Ukraine: catalyseur paradoxal?
Le conflit russo-ukrainien a profondément modifié les paradigmes de l’investissement ESG. A court terme, les flux vers les fonds durables ont diminué, les investisseurs privilégiant des actifs plus liquides et moins exposés aux incertitudes géopolitiques. La relance du charbon, le retour du gaz de schiste aux Etats-Unis, la focalisation sur l’armement et la suspension de certaines subventions vertes illustrent ce repli temporaire.
Cependant, à moyen et long terme, la guerre peut paradoxalement agir comme un catalyseur de la transition énergétique. L’indépendance énergétique est devenue une priorité stratégique, poussant les Etats européens à accélérer leurs plans de développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. Sur le plan social, les enjeux de sécurité redéfinissent les priorités des fonds ESG, avec une réintégration progressive du secteur de la défense dans certains portefeuilles, au nom du droit fondamental à la sécurité. Est-ce une approche que l’on peut considérer comme durable? Il est permis d’en douter.
Réactions des marchés et des investisseurs
Les marchés financiers ont réagi de manière contrastée à ces évolutions en 2025. Le premier trimestre a été marqué par des sorties nettes record des fonds durables américains, atteignant 8,6 milliards d’USD, une première depuis 2018. Cette tendance s’explique par la sous-performance de certains secteurs ESG, notamment les énergies propres, et par les incertitudes concernant le retrait des financements américains décidés sous l’ère Biden. Pourtant, les actifs sous gestion des fonds ESG mondiaux sont restés stables, témoignant d’une base d’investisseurs fidèles et d’une conviction de long terme.
Les institutions financières, quant à elles, sont confrontées à des défis opérationnels majeurs. L’intégration des critères ESG dans les modèles de risque, la qualité des données et les nouvelles réglementations européennes exigent des investissements technologiques et humains considérables. Le véritable enjeu n’est plus la conformité, mais la transformation stratégique des modèles d’affaires.
Perspectives: entre adaptation et opportunités
Malgré les turbulences, les perspectives des placements durables ne sont pas uniquement sombres. Plusieurs tendances de fond soutiennent leur développement:
- Renforcement réglementaire: l’Union européenne poursuit l’harmonisation de son cadre ESG, avec des exigences plus claires et des indicateurs de performance mesurables.
- Technologies vertes: l’innovation dans les domaines de l’énergie propre, de la gestion de l’eau, de l’agriculture et de la numérisation des infrastructures ouvre de nouvelles opportunités d’investissement.
- Demande sociétale: les attentes des citoyens et des consommateurs en matière de durabilité restent fortes, poussant les entreprises à intégrer les enjeux ESG dans leur stratégie.
- Résilience financière: sur le long terme, les fonds durables ont historiquement surperformé leurs équivalents traditionnels, renforçant leur attractivité pour les investisseurs institutionnels.
Les critères ESG évoluent pour intégrer de nouvelles dimensions. La biodiversité et la comptabilité du capital naturel deviennent des axes d’analyse incontournables. L’intelligence artificielle joue également un rôle croissant dans la gestion des données ESG et la prise de décision.
Sur le plan social, la diversité, l’équité et le bien-être des employés sont désormais considérés comme des indicateurs clés. La circularité des modèles économiques et les stratégies de transition – visant à accompagner équitablement les populations dans la transition écologique – sont de plus en plus valorisées par les investisseurs. La difficulté à ce jour reste de trouver des véhicules d’investissement alliant les principes ci-dessus et un rendement permettant d’assurer les retraites à long terme. L’industrie financière doit continuer à innover dans ce sens afin de proposer des solutions impactantes et crédibles aux investisseurs.
Et en Suisse?
En Suisse, près d’un quart des émissions de gaz à effet de serre sont produites par le parc immobilier bâti (source OFEV, avril 2025). Ces émissions proviennent des chauffages existants et évidemment des défauts d’isolation des bâtiments. Les objectifs de décarbonation 2050 de la Confédération sont clairs et la volonté d’amélioration du parc de la plupart des propriétaires institutionnels, en particulier les caisses de pension, est affichée. Pourtant, des contraintes administratives souvent peu compréhensibles ralentissent la mise en œuvre de cet effort de décarbonation des bâtiments.
Réduire de manière significative les émissions de gaz à effet de serre dans le laps de temps imparti par la Confédération est ambitieux, mais réalisable si les efforts sont coordonnés entre les autorités, les entreprises et les citoyens. La transition écologique est aussi une opportunité économique et sociale, pouvant se transformer en opportunité de placement pour le deuxième pilier et contribuer à une Suisse résiliente et durable.
Pour les investisseurs, il s’agit désormais de naviguer avec discernement dans un paysage complexe, en conciliant performance financière, impact sociétal et résilience environnementale
Conclusion
L’année 2025 illustre les tensions entre les impératifs de durabilité et les réalités géopolitiques. Les placements ESG sont mis à l’épreuve, mais ne disparaissent pas. Au contraire, ils évoluent, s’adaptent et se redéfinissent. Pour les investisseurs, il s’agit désormais de naviguer avec discernement dans un paysage complexe, en conciliant performance financière, impact sociétal et résilience environnementale. La finance durable et les actions nécessaires à une transition énergétique viable ne sont plus simplement une vision: ce sont des composantes essentielles à une stratégie d’investissement à long terme et au maintien d’une qualité de vie chez tout un chacun. Je terminerai par cette citation de Victor Hugo tirée de son livre Histoire d’un crime et on ne peut plus actuelle: «On résiste à l’invasion des armées, on ne résiste pas à l’invasion des idées.»