
A l’approche de l’été, saison propice à la lecture, notre chroniqueur explore des romans qui éclairent les carrefours de l’existence. Les livres ne changent pas toujours nos vies, mais ils le peuvent
Je demande parfois à mes interlocuteurs quel livre les a marqués. Le philosophe Philippe Nemo m’avait répondu: «Je ne vais pas vous citer un livre, mais une catégorie: lisez des romans, car chacun vous fait entrer dans un monde différent.» Selon lui, fréquenter des mondes divers à travers la littérature nous montre, par les actes, que la liberté existe, car sans elle, il serait impossible de raconter des histoires si différentes. Les romans nous habituent à comprendre des points de vue qui ne sont pas les nôtres et nous rappellent qu’il existe presque toujours plusieurs réponses à une question.
Le conseil de Nemo se confirma: parmi les ouvrages qui eurent un impact durable sur mon interprétation du monde et ma vie figurent plusieurs romans. Dans cette dernière chronique avant la pause estivale – une période propice à la détente, mais aussi à la réflexion et déclencheur d’actions en fonction de ces dernières – tentons un bref tour des ouvrages qui pourraient vous aider.
Vous débordez d’ambition personnelle mais peinez à transformer vos aspirations en réalisations ou vous pensez au contraire être sur le bon chemin? Dans les deux cas, le destin de Julien Sorel, dans Le Rouge et le Noir de Stendhal devrait vous intéresser. Issu d’un milieu modeste, le jeune Sorel est prêt à tout pour réussir et se faire une place au soleil. Le roman pose la question des compromissions avec vous-même que vous êtes d’accord de faire pour arriver à vos fins. Ainsi que les obstacles que rencontrent ceux qui choisissent la voie de l’opportunisme.
Vous avez l’impression, au quotidien, d’être en décalage avec votre vision du monde? Dans La Source vive, Ayn Rand dresse le portrait de personnages qui refusent de renoncer à leurs principes, malgré toutes les conséquences négatives qu’ils doivent affronter. Etre en paix avec soi-même nécessite parfois de ne plus l’être avec les autres. François Sureau s’intéresse au même thème dans Le Chemin des morts, qui voit un jeune juriste devoir défendre une décision de justice légalement correcte mais moralement suspecte. Faut-il faire barrage ou rationaliser en se rappelant notre insignifiance? Dans L’Homme qui plantait des arbres, Jean Giono y répond et nous montre que les petits actes finissent par renverser des montagnes et que chacun peut, à son échelle, changer le monde.
Enfin, les vacances étant statistiquement un déclencheur de ruptures, l’amour ne pouvait manquer à cette liste. Dans L’Insoutenable légèreté de l’être, Milan Kundera dresse le portrait de Tomas, incapable de trancher, qui erre entre son couple et son amante. Se reprochant son indécision, il est traversé d’une éclaircie, quand il se rend compte que «coucher avec une femme et dormir avec elle, voilà deux passions non seulement différentes mais presque contradictoires. L’amour ne se manifeste pas par le désir de faire l’amour (ce désir s’applique à une multitude de femmes) mais par le désir du sommeil partagé (ce désir-là ne concerne qu’une seule femme)».
Dans Je l’aimais, Anna Gavalda imagine un dialogue entre une mère de deux enfants qui vient de se faire quitter sans explication, et son beau-père. La mère ne comprend pas que l’on puisse quitter l’amour. De son côté, son beau-père lui raconte ses remords de ne jamais avoir eu le courage de partir alors que le sentiment amoureux avait, lui, fait ses valises. Au fil des pages apparaît l’idée étrange que, parfois, rester est une lâcheté qui dégrade bien davantage que le fait d’être abandonné abruptement.
Certains livres marquent une vie parce qu’ils arrivent quand il le faut. Et si c’était à votre tour d’en conseiller un: lequel choisiriez-vous?
Vous avez une remarque? Une lecture à me conseiller pour une prochaine chronique? N’hésitez pas à me le faire savoir par e-mail à info@nicolasjutzet.ch.
D’autres conseils pour vos lectures estivales, retrouvez notre série: Sous le roman, l’économie