Les pays en voie de développement, face cachée des investissements dans l’économie verteSi les placements de type ESG favorisent des changements positifs, ils recèlent certains risques pour les pays en voie de développement. Décryptage Placer de l’argent dans l’économie verte procure souvent – et à juste titre – le sentiment gratifiant d’agir dans le bon sens. Cependant, les affaires financières durables peuvent aussi produire des effets indésirables. Les placements ESG portent principalement sur les pays satisfaisant à des exigences réglementaires élevées, mais ont tendance à négliger le fait que les Etats aux notations inférieures sont écartés, ce qui entrave l’accès des pays pauvres aux capitaux. Exemple dans des pays comme l’Inde ou l’Indonésie, toujours très dépendants du charbon pour leur énergie, et donc gros émetteurs de CO2. Ces Etats rebutent ainsi les investisseurs, qui évitent ces marchés non engagés dans la réduction des émissions. Or, ce sont ces pays qui ont le plus besoin de capitaux pour développer les énergies renouvelables. De plus, beaucoup de pays émergents manquent d’infrastructures leur permettant de respecter l’obligation de fournir des rapports ESG exhaustifs. Par conséquent, les entreprises de ces pays sont souvent exclues alors même qu’elles exercent une influence positive sur la société et l’environnement. Le problème est que les normes ESG, avant tout pensées pour les marchés développés, mettent les industries locales des pays émergents sous pression. Si les standards pour l’environnement et la sécurité au travail sont importants, les sociétés dans ces pays qui ne peuvent les respecter sans des aides et des capitaux venus de l’étranger sont nombreuses. Le cas de l’industrie textile du Bangladesh illustre bien la situation. Les sévères dispositions ESG y découragent les investisseurs sans éliminer les risques pour les travailleurs locaux. Marché opaqueD’après le Financial Times, de plus en plus de chercheurs craignent que la préoccupation des investisseurs dans l’ESG pour les droits des salariés et d’autres questions sociales ne les amène à délaisser les pays les plus pauvres, où la protection dans ces domaines est mauvaise. Mais il est difficile de trouver des chiffres à ce sujet. Timo Busch, professeur à la Faculté d’économie et de sciences sociales de Hambourg, n’en connaît pas. Et les études fiables manquent. A ses yeux, les chiffres relèvent du domaine de la spéculation. «Si vous vous focalisez sur les filtres ESG pour identifier les bons élèves, vous tomberez surtout sur les grandes firmes occidentales», relève l’économiste. Il est donc généralement plus simple pour les investisseurs de trouver des données complètes sur le développement durable dans les pays développés que dans les pays pauvres.
Faut-il en déduire que les pays riches affichent de meilleurs scores ESG et que les critères en la matière y sont plus faciles à remplir? Il faut opérer des distinctions entre les systèmes de notation des pays et ceux des entreprises. Selon Sabine Döbeli, directrice de l’association professionnelle Swiss Sustainable Finance, les notations nationales se basent sur de nombreux indicateurs dépendant du niveau de vie mais aussi sur d’autres ayant trait à la bonne gouvernance. «Dans ces conditions, il est logique que les pays en voie de développement s’en sortent moins bien.» Comme Sabine Döbeli l’explique, les firmes des pays émergents sont effectivement moins bien classées selon les critères ESG, et cela tient à différents facteurs. Ces entreprises opèrent dans des pays où la réglementation est généralement moins sévère. Elles disposent par conséquent de stratégies ESG moins ambitieuses. «De ce point de vue, les notations ne sont pas injustes, elles ne font que refléter un niveau de pratiques ESG inférieur», en déduit l’experte de SSF. Mais quand des investisseurs s’intéressent aux pays émergents, ils tiennent compte de cette donnée et placent la valeur de référence moins haut, ou comparent les sociétés avec leurs homologues de pays dont la position économique est similaire. Rapport rendement-risque, un indicateur cléLa directrice de l’association suisse pour des finances durables ne parle donc pas d’inégalité de traitement mais bien plus de «réflexion autour du risque». Il importe de ne pas mettre tous les produits de placement qui investissent dans les pays émergents dans le même panier. «A chaque investisseur d’examiner attentivement le rapport rendement-risque et de décider sur cette base.» Pour Sabine Döbeli, des efforts sont menés pour mieux montrer qu’il existe également des investissements attractifs dans les pays émergents, dont le risque n’est pas plus grand que dans les catégories de placement correspondantes des pays industrialisés. Faudra-t-il à terme introduire de nouveaux critères ESG différenciés, tenant davantage compte du contexte des pays en voie de développement? Rachel Whittaker, responsable des investissements durables chez le prestataire de services financiers Robeco, constate que le secteur du développement durable évolue déjà vers des critères ESG plus différenciés et plus ciblés, aussi bien pour les différentes régions du monde que pour la prise en compte de domaines spécifiques comme le climat, la diversité biologique ou encore les questions sociales. L’International Finance Corporation (IFC) et l’ONU se sont ainsi récemment engagés en faveur d’une plus grande implication des pays émergents dans la définition des règles ESG. «Ces initiatives visent à établir une approche plus équilibrée et plus juste des investissements durables», indique Rachel Whittaker. Se concentrer sur les pay émergentsL’accent mis sur certaines régions dans les développements des analyses ESG et de ses effets pourrait contribuer à ce que les investissements dans les pays en développement soient non seulement durables mais «aussi intégratifs et qu’ils prennent plus directement en compte les besoins sociaux et économiques locaux», explique Rachel Whittaker. Si la population mondiale atteint 10 milliards d’êtres humains d’ici à 2050, ce sera de façon prépondérante le fait de la démographie des pays émergents, estime la spécialiste. «De ce fait, pour les investissements durables, il est judicieux de se concentrer sur les pays émergents. Car c’est là que les principaux effets se feront sentir.» Spécialiste du développement durable rattachée à la succursale zurichoise de Robeco, citoyenne suisse et britannique, Rachel Whittaker insiste sur le constat que les conditions d’un tel développement comme les objectifs de l’ONU en la matière soient explicitement orientées vers une réduction des inégalités entre les pays. A la recherche de critères généralement reconnusEn 2015, la communauté mondiale a approuvé l’agenda 2030 et s’est engagée sur un total de 17 objectifs globaux de durabilité (Sustainable Development Goals, ou SDG) au point de vue social, économique et écologique. Ces SDG doivent former la base de la promotion d’une croissance durable et intégrative pour toutes les parties. «Ces dernières années, beaucoup de stratégies et d’instruments financiers ont été mis au point afin d’atteindre ces buts, ce qui crée d’intéressantes possibilités pour les investisseurs.» Selon Rachel Whittaker, le défi majeur pour les placements durables tient à ce qu’il n’y a, à l’heure actuelle, toujours pas de critères ESG généralement reconnus – quand bien même les autorités de régulation, en Europe notamment, tentent de standardiser et de clarifier ces questions. «Cela complique la tâche de l’investisseur lorsqu’il veut évaluer quelles entreprises respectent vraiment ces valeurs et les activités qui en découlent», note-t-elle. Par conséquent, c’est aux investisseurs eux-mêmes de remplir le devoir de diligence s’ils veulent placer leur argent en respectant les principes du développement durable. «Il faut appliquer la même discipline aux investissements durables ou ESG qu’aux placements classiques.» Dimanche 15 décembre 2024, 17h00 - LIRE LA SUITE ![]()
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