L’hégémonie du dollar est récemment remise en question, alors que la compétitivité des Etats-Unis est au cœur des politiques de l’administration Trump. La guerre commerciale, les attaques contre l’indépendance de la Réserve fédérale et de son président, Jerome Powell, ainsi que les craintes d’une restructuration de la dette souveraine américaine ont ébranlé la confiance dans le dollar
Les fondements de la domination du dollar
Pendant la majeure partie du siècle dernier, le rôle international du dollar a été soutenu par la taille et la vigueur de l’économie américaine, la profondeur et la liquidité de son marché des capitaux et le bon fonctionnement du système financier. Ce rôle peut s’expliquer sous deux angles différents:
L’angle commercial: La prédominance du dollar américain dans les échanges commerciaux et leur facturation est l’une des principales raisons de son rôle important dans l’économie mondiale. En effet, l’utilisation du dollar dans la facturation commerciale va bien au-delà de la seule part des Etats-Unis dans les exportations et importations mondiales de biens. Il existe un lien fondamental entre le rôle du dollar en tant que monnaie dans laquelle les exportateurs non américains facturent principalement leurs ventes et sa place prépondérante dans le secteur bancaire et financier mondial. Cette utilisation généralisée du dollar dans le commerce international accroît la demande de dépôts en dollars sûrs et réduit les coûts d’emprunt.
L’angle de l’actif sans risque: Il existe une forte demande mondiale pour les actifs sans risque, et la dette publique américaine est considérée comme l’un des placements les plus sûrs. Le dollar représente plus de 50% des réserves officielles de change mondiales et constitue une réserve de valeur fiable.
Les investisseurs s’interrogent désormais sur le fait que les Etats-Unis constituent toujours la valeur refuge qu’ils incarnaient auparavant. L’indice du dollar s’est déprécié de plus de 8% depuis le début de l’année, et le rendement des obligations du Trésor à 10 ans a augmenté de 50 points de base au cours de la semaine qui a suivi l’annonce des nouveaux droits de douane imposés par l’administration américaine, appelés «Liberation Day Tariffs». Les risques de ralentissement de la croissance et de hausse de l’inflation ont poussé les investisseurs à exiger une compensation plus importante pour le risque de duration (sensibilité d’un portefeuille obligataire aux variations des taux d’intérêt). L’inquiétude grandit également quant à la capacité du gouvernement à gérer la dette dans un contexte de croissance lente, et l’on observe une certaine nervosité face à la supposée baisse de la demande des investisseurs étrangers pour les obligations du Trésor américain.
Le rôle du dollar en tant que monnaie de réserve a également diminué, les sanctions imposées par les Etats-Unis et leurs alliés à la Russie à la suite de l’invasion de l’Ukraine (gel de la moitié de ses réserves officielles de change, exclusion de certaines banques russes du système de paiement international SWIFT) ayant conduit la Russie à se diversifier en réduisant son exposition au dollar au profit du renminbi et de l’or.
Existe-t-il des alternatives?
Un discours commence à émerger parmi les investisseurs selon lequel nous assisterions à la fin de l’exceptionnalisme américain. Cependant, les alternatives au dollar manquent souvent d’un marché aussi profond, liquide et des autres attributs financiers nécessaires pour séduire les investisseurs mondiaux. En effet, si les marchés financiers de la zone euro sont également importants, ils sont fragmentés entre différents pays et l’euro n’a pas la même portée mondiale que le dollar. Quant au yuan, il reste confronté à de nombreux défis, notamment le contrôle des flux de capitaux en Chine et un système juridique qui ne respecte pas pleinement les principes de l’Etat de droit. Il faudrait donc des changements structurels majeurs pour détrôner le dollar américain, et cela prendrait du temps.
A court et moyen terme, les incertitudes entourant la politique commerciale continueront de peser sur le dollar. Un recul de son rôle de valeur refuge pourrait le rapprocher de la parité des pouvoirs d’achat – le taux de conversion des devises qui vise à égaliser le pouvoir d’achat de différentes devises en éliminant les différences de niveaux de prix entre les pays. Selon cette théorie, une correction à mi-chemin de la juste valeur de 1 euro serait d’environ 1,25 dollar, ce qui représenterait une dépréciation supplémentaire de 10% du dollar.
Diversification croissante
Que cela signifie ou non la fin du rôle international du dollar, le paysage économique actuel a des implications importantes pour l’allocation d’actifs. Le dollar est devenu de plus en plus corrélé aux actions, sous l’effet de la montée des risques de stagflation et de l’affaiblissement de l’exceptionnalisme américain. Cette corrélation souligne l’importance des valeurs refuges traditionnelles telles que l’or et le franc suisse en tant que diversificateurs essentiels dans les portefeuilles d’investissement.
Pour les actions, les tendances divergentes de l’inflation entre les pays ouvrent la voie à d’éventuelles divergences politiques.
L’Europe pourrait connaître une désinflation et des baisses de taux plus agressives de la part de la Banque centrale européenne, de la Banque nationale suisse et de la Banque d’Angleterre, tandis que les Etats-Unis seront confrontés à une hausse de l’inflation et à une politique monétaire plus neutre. A mesure que le monde s’oriente vers une déglobalisation, les cycles économiques devraient devenir moins synchronisés.
Ce scénario souligne l’importance de la diversification internationale des actions et de l’exposition à des classes d’actifs alternatives afin de se prémunir contre une éventuelle récession aux Etats-Unis. La réallocation hors des actifs américains a déjà commencé, sous l’effet d’une perte de confiance des investisseurs internationaux à la suite des Liberation Day Tariffs.
Pendant des décennies, les obligations américaines ont constitué un rempart essentiel contre les récessions. Cependant, leur efficacité s’est considérablement réduite dans le contexte actuel. La diversification internationale devrait exercer une pression à la hausse sur les rendements réels, ce qui nécessitera une exposition accrue aux obligations européennes. Ce changement stratégique dans l’allocation d’actifs vise à atténuer les risques et à tirer parti des nouvelles opportunités dans un paysage économique mondial en rapide évolution.