
Le président démissionnaire du conseil de fondation du World Economic Forum et sa femme sont accusés par une lettre anomyne d'utiliser des fonds de l’organisation à des fins personnelles. Le WEF confirme mercredi l’ouverture d’une enquête et Klaus Schwab porte plainte
Tout est parti d’un lanceur d’alerte, informait mardi le média économique Wall Street Journal. Le Forum économique mondial, que Klaus Schwab a lui-même créé, a reçu la semaine dernière une lettre informant des manquements de la part de son fondateur et de sa femme, tant sur le plan éthique que financier. La missive anonyme mentionne notamment des retraits en cash de plusieurs milliers de francs réalisés par des employés subalternes sur demande de Klaus Schwab, ainsi que l’utilisation de fonds du WEF pour se payer des massages dans des chambres d’hôtel. Son épouse Hilde est aussi éclaboussée par cette affaire. Elle aurait organisé des réunions «symboliques» pour financer des voyages de luxe aux frais de l’organisation.
Interrogé par Le Temps, le Conseil de fondation a confirmé mercredi «avoir soutenu à l’unanimité la décision du Comité d’Audit et Risque d’ouvrir une enquête indépendante à la suite d’une lettre de dénonciation contenant des allégations contre l’ancien président Klaus Schwab. Cette décision a été prise après consultation d’un conseiller juridique externe. L’enquête sera menée par le Comité d’Audit et Risque avec le soutien d’experts juridiques indépendants.»
L’organisation a insisté sur le fait que ces allégations, «bien que prises au sérieux, ne sont pas prouvées» et qu’elle «attendra les résultats de l’enquête pour faire d’autres commentaires».
Interdit des locaux du WEF
Selon le Wall Street Journal, le conseil de fondation a décidé d’ouvrir cette enquête lors d’une réunion d’urgence le dimanche de Pâques. Klaus Schwab a choisi de démissionner avec effet immédiat au lieu de rester en poste pour une période de transition. Il réfute toutes les allégations à son encontre et a annoncé par le biais d'un porte-parole porter plainte pour diffamation contre l’auteur de la lettre anonyme et contre «tous ceux qui répandent ces contrevérités». Klaus Schwab n’a jamais eu l’occasion de donner sa version des faits au conseil d’administration ou au comité d’audit, selon son porte-parole, qui précise que le fondateur a renoncé à sa prime de départ de 5 millions de francs suisses en signe de bonne foi.
D’après un article de la NZZ publié mercredi, Klaus Schwab s’est exprimé plus en détail, se déclarant trompé par le conseil de fondation et victime d’une campagne de dénigrement. Il souligne notamment avoir fondé le Forum avec un crédit personnel et avoir injecté par la suite une grande partie de sa fortune privée dans des fondations liées à l’organisation. Il indique aussi que les prestations à caractère privé durant les voyages jugés nécessaires, ayant toujours servi au Forum, auraient été remboursées.
Selon le média alémanique toujours, le fondateur du WEF se serait vu interdire l’accès au siège principal de Cologny à Genève. L’enquête en cours lui interdirait de contacter ses anciens collaborateurs et d’accéder à ses documents. Le WEF n’a pas commenté cette information.
Culture d’entreprise toxique et accusations de racisme
L’utilisation de fonds de l’entreprise à des fins privées n’est pas la seule accusation à l’encontre des Schwab. Le lanceur d’alerte pointe aussi du doigt la culture d’entreprise toxique du WEF, et le comportement hostile de son fondateur envers les femmes. Une enquête du WSJ avait révélé des dysfonctionnements en juin 2024. Le média relatait par exemple la volonté de rajeunir les équipes du WEF en licenciant un groupe d’employés ayant plus de 50 ans sans autre raison que leur âge, des discriminations envers des employées enceintes ou des accusations de racisme envers des collaborateurs noirs. Autant d’accusations réfutées par un porte-parole du WEF à l’époque. Une plainte avait été déposée le 8 juillet 2024 à New York par une ancienne employée, Topaz Smith, pour discrimination raciale notamment – de fausses déclarations, dénonçait alors le WEF. La plainte avait été réglée à des conditions non divulguées, selon un article du Financial Times publié en mars dernier. Le WSJ informait encore en juillet dernier qu’un groupe d’anciens employés du Forum de Davos avait adressé une lettre à Olivier Jornot, procureur général du canton de Genève, l’exhortant à ouvrir une enquête sur le climat de travail au sein de l’organisation. Contacté récemment par Le Temps, le Ministère public avait déclaré ne pas s'exprimer sur le dépôt de plaintes.
Peter Brabeck ad interim
Dernières accusations du lanceur d’alerte: l’utilisation à des fins personnelles par la famille Schwab d’une partie de la Villa Mundi à Cologny, construite en 1958 et dessinée par l’architecte Georges Brera. Cette vaste maison avait été achetée par le WEF en 2018 pour 30 millions de francs, puis rénovée à hauteur de 20 millions de francs. Hilde Schwab apposerait un contrôle strict sur certaines parties du bâtiment, censées être utilisées comme centre de conférence, selon le Wall Street Journal. Le porte-parole du couple a déclaré que le couple vit près de la Villa Mundi et l’utilise uniquement pour les événements liés au Forum.
Ces allégations ont accéléré le retrait de Klaus Schwab, alors que ce dernier avait déjà annoncé il y a quelques semaines viser une succession à la présidence du conseil de fondation à l’orée 2027. Le dirigeant était déjà en porte-à-faux depuis plusieurs mois avec les puissants membres de son conseil de fondation, raconte le WSJ. En font notamment partie la reine de Jordanie, l’ex-vice président des Etats-Unis Al Gore, le directeur de BlackRock Larry Fink, la directrice de l’OMC Ngozi Okonjo-Iweala ou encore Peter Brabeck, ex-patron de Nestlé, qui a été désigné président par intérim pour remplacer Klaus Schwab.
Un comité pour la sélection d’un futur président a été mis en place, communiquait l’organisation lundi. Interrogé par Le Temps sur l’horizon de cette nouvelle nomination, le WEF n’a pas donné davantage d’informations mais assure que «sous la présidence intérimaire de Peter Brabeck-Letmathe et sous la direction continue du président-directeur général Børge Brende, le Forum reste pleinement engagé dans sa mission et ses responsabilités».