
Longtemps connues pour être les championnes d’Europe du temps partiel, les femmes ont massivement augmenté leur taux d’activité professionnelle ces dernières années selon les données de l’Office fédéral de la statistique
Le 14 juin 1991, à l’invitation de l’Union syndicale suisse (USS), quelque 500 000 femmes lèvent le pied et descendent dans les rues du pays. Elles exigent une meilleure application de l’article constitutionnel fédéral sur l’égalité hommes-femmes, inscrit exactement dix ans plus tôt dans la constitution helvétique.
L’histoire ne dit pas s’il s’agit d’un hasard ou non. Toujours est-il que ce mouvement de grève coïncide avec les premières mesures de l’Office fédéral de la statistique (OFS) sur la représentation de la gent féminine dans les entreprises du pays. Publiées jeudi, à deux jours de la journée internationale de la femme, les dernières données montrent à quel point, en 33 ans, ce genre a investi le monde du travail.
Davantage de femmes au-dessus de la cinquantaine
L’évolution sociale explique en partie le phénomène mais les partenaires sociaux se querellent aussi sur d’autres facteurs explicatifs. Selon les syndicats, l’érosion du pouvoir d’achat pousse davantage de femmes sur le marché du travail. L’explosion des primes d’assurance-maladie et des loyers pèse en effet sur le budget des ménages dans l’un des pays les plus chers du monde. Si les employeurs rétorquent qu’ils ne sont pas responsables de ces facteurs exogènes à leur activité économique, des spécialistes de la consommation relèvent aussi que les besoins dits fondamentaux de la population ont augmenté avec l’avènement de la société de consommation.
A défaut de permettre de trancher sur l’importance de chacun de ces paramètres d’une équation complexe, les statistiques chiffrent de manière implacable l’augmentation du taux d’activité professionnelle de celles que l’on ne pourra bientôt plus désigner comme les championnes d’Europe du temps partiel. Alors que le taux d’activité moyen de cette frange de la population était mesuré à 68,2% en 1991, il a bondi à 80,8% l’an dernier. Dans le même temps, une légère baisse du temps de travail est mesurée chez les hommes, qui contribue à faire converger les deux valeurs.
Le détail de ces données livre un autre précieux enseignement car la hausse des temps de travail n’est pas la même dans toutes les catégories d’âge. Il apparaît que ce sont avant tout les femmes comprises dans la classe d'âge comprise entre 55 et 64 ans qui a massivement accru sa présence dans les entreprises et autres organisations du pays. Le temps où «Madame» restait à la maison une fois les enfants sortis du nid est bien loin.
Dans les directions, un verre à moitié rempli
Quelle place occupent ces femmes dans la hiérarchie des entreprises? Les statistiques livrées par l’OFS témoignent d’une amélioration de la situation, moins marquée toutefois que pour l’évolution du taux d’activité. Si près de quatre femmes sur dix (37,4%) indiquent faire partie d’une direction ou exercer une fonction de chef, le taux descend à 34,6% pour le taux de participation stricte à un comité exécutif.
Depuis 2021, le droit des sociétés suisses prévoit des taux de référence pour les entreprises cotées en Bourse. L’entrée en vigueur de ces nouvelles prescriptions non contraignantes a entraîné une progression de la représentation des femmes dans les directions et les conseils d’administration. Les rangs s’éclaircissent toutefois à mesure que l’on gravit les échelons des firmes et les femmes ont encore tendance à se cantonner aux fonctions de gestion des ressources humaines ou de durabilité. Les spécialistes en questions de genre relèvent l’importance d’avoir des modèles pour les nouvelles générations. Depuis l’an dernier, la population féminine est enfin représentée au sommet d’une entreprise du SMI avec l’arrivée de Hanneke Faber à la tête de Logitech.
La Néerlandaise a toutefois de quoi se sentir bien seule puisque les 19 autres plus grandes sociétés du pays sont toutes dirigées par des hommes. A l’instar de SGS, très médiatisée en ce moment et dirigée par la Française Géraldine Picaud, c’est par ailleurs à l’étranger que le fabricant de périphériques informatiques valdo-américain s’est tourné pour recruter. Il faut franchir la Sarine pour trouver une femme suisse à la tête d’une grande entreprise, en la personne de Suzanne Thoma qui cumule les fonctions de présidente et de directrice du groupe industriel Sulzer. Celui-ci vient d’ailleurs de s’illustrer en publiant des résultats en nette progression dans un contexte conjoncturel morose.
Des inégalités salariales persistantes
Reste une question centrale que posaient notamment les femmes il y a 33 ans en envahissant les rues du pays, à savoir celle de l’égalité salariale. En 2022, selon les dernières données à disposition, le revenu moyen d’un homme était de 8398 francs, soit 16,2% de plus qu’une celui d’une femme, mesuré à 7034 francs. Selon l’OFS, pratiquement la moitié de cette différence (48,2% ) ne peut pas s’expliquer par des facteurs objectifs tels l’interruption de carrière ou la baisse du temps de travail suite à l’arrivée d’un enfant.
Lundi, une coalition emmenée par Travail.Suisse, autre organisation faîtière syndicale, a envoyé une lettre ouverte au Conseil fédéral pour lui enjoindre de s’impliquer davantage dans la lutte contre les inégalités salariales. Cette alliance souhaite notamment élargir à un plus grand cercle d’entreprises l’obligation de procéder à une analyse de ces disparités.