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Source : LeTemps.ch  (il y a 4 mois)

«La transition alimentaire devrait devenir une priorité de l’EPFL»

Directeur du Integrative Food and Nutrition Center de l’EPFL pendant cinq ans, Christian Nils Schwab vient de quitter ses fonctions. L’une des chevilles ouvrières de la Swiss Food & Nutrition Valley, il est convaincu qu’il faut changer de paradigme en matière alimentaire et en appelle à plus de courage de la part des politiques

Il connaît à peu près tout du secteur agroalimentaire, lui qui a travaillé pour Tetra Pak, Nestlé, Firmenich sans oublier plusieurs expériences dans des PME et des start-up. A la tête du Integrative Food and Nutrition Center de l’EPFL depuis janvier 2019, Christian Nils Schwab s’est profilé comme l’un des vulgarisateurs les plus écoutés de la transition alimentaire. Il déplore toutefois que la Haute Ecole lausannoise n’accorde pas plus d’importance à cet enjeu alors même que le secrétaire général de l’ONU s’inquiète d’une crise imminente du système alimentaire mondial.

Le Temps: Vous retournez dans l’industrie après avoir dirigé pendant cinq ans le Integrative Food and Nutrition Center de l’EPFL. Pourquoi?

**Christian Nils Schwab:** Je cherche à avoir un impact maximum sur la transition alimentaire, c’est ce qui guide mes choix. J’ai aujourd’hui la conviction que j’en aurai plus à la tête d’une entreprise qu’à l’EPFL. Voilà pourquoi j’ai accepté de prendre la direction de Hi-Food, une entreprise basée à Parme et qui appartient au groupe CSM, un poids lourd du secteur des ingrédients alimentaires. **Plus précisément?** J’aspire à démontrer qu’on peut être à la fois rentable et respectueux de l’environnement, compétitif et socialement responsable. C’est ce qu’on appelle le _net positive_. Selon cette philosophie, les profits des entreprises devraient découler des solutions qu’elles apportent à la société et non pas des problèmes qu’elles engendrent. Et vu l’urgence de la situation, il est criminel de se complaire dans une dualité stérile entre impératifs économiques et écologiques. Je suis d’ailleurs convaincu que l’avenir appartient aux entreprises qui parviendront à les réconcilier. **Quel est le domaine d’activité de cette entreprise?** La production d’ingrédients à base de plantes, entièrement naturels, sans allergènes ni gluten. Ils contribuent, par exemple, à la réduction du sucre dans les aliments ou à la formulation de substituts aux produits carnés qui, on le sait, sont une cause majeure d’émissions de gaz à effet de serre. Les fonctionnalités d’additifs synthétiques peuvent, elles aussi, être remplacées par des ingrédients d’origine naturelle, préférables pour l’environnement et pour la santé des consommateurs. **Revenons au Food Center de l’EPFL. Quel bilan tirez-vous après cinq ans passés à sa tête?** La mission initiale du centre, créé par le professeur Francesco Stellacci en 2014, était de favoriser les collaborations entre l’EPFL et l’industrie. En près de dix ans, nous avons réalisé plusieurs dizaines de projets et nous comptons parmi les membres du centre plusieurs grands noms de l’industrie agroalimentaire comme Nestlé, Givaudan, ADM, PepsiCo, Bühler, Migros Industries… En prenant la direction du centre en 2019, j’ai voulu élargir cette mission avec pour objectif de maximiser les apports et les impacts positifs des recherches scientifiques menées à l’EPFL sur la transition alimentaire. Nous avons ainsi lancé plusieurs projets systémiques en partenariat avec E4S (Entreprise for Society), le centre créé avec l’Université de Lausanne et l’IMD qui vise, lui, une approche transversale et interdisciplinaire des questions de durabilité.
Lire également: Dans les cuisines de l’EHL et de Nestlé, on expérimente la nourriture de demain
**Par exemple?** Le projet True Cost of Food, qui a été approuvé par le Fonds national suisse (FNS) et qui débute en janvier pour une période de trois ans. Il a pour objectif d’internaliser dans le coût des aliments ce qu’on appelle les externalités, négatives et positives. Prenez l’exemple d’une barquette de lasagnes industrielles et de trois aubergines bios produites à Yverdon. Quel serait le juste prix de l’un et l’autre de ces aliments si l’on prend en compte les critères environnementaux (émission des gaz à effet de serre, consommation d’eau…) ? Et quels mécanismes de compensation mettre en place pour changer le prix relatif de ces aliments pour que les options les plus saines et respectueuses de l’environnement soient aussi les moins coûteuses, dans le respect du budget des ménages? Autre projet, celui d’un jumeau numérique de l’agriculture suisse. **De quoi s’agit-il?** L’objectif est de développer un outil d’aide à la décision pour les politiques qui permette les meilleurs arbitrages entre les contraintes économiques, environnementales, sanitaires et de sécurité d’approvisionnement… Les débats sur l’alimentation sont par nature très émotionnels. La science et la modélisation des divers paramètres devraient permettre une approche plus rationnelle et fondée sur les faits. **L’EPFL accorde-t-elle suffisamment d’attention et de moyens au défi alimentaire?** Non, l’alimentation n’est malheureusement pas un champ de recherche stratégique pour l’EPFL. Notre centre a joui d’une grande liberté d’action, mais de peu de ressources et d’un soutien limité de la part de la direction. L’école n’a, par exemple, pas créé à ce jour de chaire spécifiquement dédiée à l’alimentation. Nous ne disposions pas de fonds pour lancer des appels à projets ni pour orienter les axes de recherches des différents laboratoires et instituts. Ce que je peine à comprendre quand on sait l’importance de ce secteur pour la santé des populations, son poids sur le dérèglement climatique, mais aussi son importance pour l’économie suisse. A mon avis, la transition alimentaire devrait devenir une priorité de l’EPFL. **Quels sont les chiffres clés qui témoignent de l’importance de l’alimentation?** Elle occasionne 30% du total des émissions de gaz à effet de serre, elle est aussi responsable à 80% des pertes de biodiversité et pèse pour 75% dans la consommation d’eau fraîche. Et cela dans un contexte où les problèmes de famine et de malnutrition s’aggravent inexorablement. Les systèmes alimentaires globaux ne sont pas pérennes, ils sont dans un état de crise et de vulnérabilité/fragilité chronique, c’est aussi simple que cela. **Et pourtant les Nestlé, Bühler et autres Givaudan… ont des liens étroits avec le centre et sollicitent régulièrement l’EPFL…** Ces grandes sociétés souhaitent effectivement établir des partenariats de recherche et recruter les talents issus de l’EPFL pour leur qualité. Elles en valorisent aussi parfois les retombées en termes d’image. Des collaborations existent sur trois axes principaux: les nouveaux emballages durables, l’alimentation de précision, la digitalisation des systèmes alimentaires… Mais l’école n’offre pas une approche verticale de la science alimentaire (_food science_). L’absence de professeurs spécialisés dans les questions alimentaires est un facteur limitant alors que les besoins, mais aussi les opportunités, sont immenses. **Pourquoi ce manque d’intérêt?** L’explication est historique. Si l’alimentation est devenue un sujet prioritaire pour la société en général, les milieux académiques ont pendant longtemps témoigné d’un certain dédain pour ce qu’ils réduisaient à de la chimie assez basique, une discipline peu prestigieuse alors qu’ils sont soumis à une obligation de publier sur des sujets très pointus pour être reconnus. Certes, les mentalités évoluent avec la prise de conscience de la complexité, de l’amplitude et de l’urgence du défi alimentaire. Mais le passage à l’acte se heurte à beaucoup d’inertie. Ce déficit est malheureusement assez généralisé dans le monde académique. Israël et les Pays-Bas font exception. Certaines de leurs universités ont d’ailleurs fait des progrès conséquents dans les _rankings_ internationaux grâce à cette spécialisation. **Remettez-vous en question la liberté académique qui donne aux chercheurs entière latitude pour choisir leurs sujets d’étude?** La liberté académique est une valeur fondatrice de l’université. Elle est essentielle mais elle a aussi à mes yeux des effets pervers une fois associée aux impératifs de publication. Cette combinaison amène à viser la seule excellence disciplinaire, incitant certains professeurs à penser en priorité à la reconnaissance d’un nombre restreint de leurs pairs plutôt qu’à l’impact positif de leur recherche sur la société. Dans ce contexte, la règle du _publish or die_ peut devenir un véritable poison. A mon sens, il faudrait établir un meilleur équilibre: d’une part sanctuariser un espace de liberté académique, la recherche fondamentale restant essentielle, et dans le même temps inciter les chercheurs à s’attaquer aux grands défis de l’heure de manière plus résolue, voire volontariste. **Comment faire évoluer le Food Center de l’EPFL?** Il faudrait qu’il soit mieux doté et surtout partie prenante de la réflexion stratégique de l’école dans ce domaine. On pourrait aussi augmenter son assise scientifique en créant des chaires dédiées dans les cinq facultés actuelles: sciences de la vie; environnement naturel, architectural et construit; sciences et techniques de l’ingénieur; informatique et communications; sciences de base. **Vous avez été l’une des principales chevilles ouvrières de la Swiss Food & Nutrition Valley (SFNV) lancée fin 2019. Quel bilan tirez-vous de cette initiative?** C’est le canton de Vaud qui a invité l’EPFL et Nestlé à faire des propositions pour développer une stratégie dans le domaine de l’agroalimentaire. Ma recommandation a été la création de la Food Valley. Nous avons été rejoints par l’EHL dans cette démarche. Vu la nature des enjeux, il nous est rapidement apparu que nous devions donner une dimension et une visibilité nationale à cette initiative. **Et qui en sont les parties prenantes?** La Swiss Food & Nutrition Valley compte désormais plus d’une centaine de membres: outre les cantons de Vaud et de Fribourg, nous avons rassemblé plusieurs grandes entreprises du domaine, l’EPFL, mais aussi l’EPFZ, la HES-SO Valais-Wallis, l’institut de recherche Agroscope, des PME et, surtout, un grand nombre de start-up. En quatre ans, de nombreux liens ont été tissés et la Suisse est désormais reconnue à l’international. La prochaine étape, si nous voulons vraiment jouer un rôle de pionnier dans la transition alimentaire, c’est le volet politique: un prérequis à la transition alimentaire sera un changement significatif du cadre législatif et incitatif du pays. **Vous êtes l’un des auteurs et le rapporteur pour la Suisse romande d’un guide pour une alimentation durable à l’intention du Conseil fédéral et présenté en février dernier. Quelles retombées jusqu’ici?** Par exemple la recommandation du directeur de l’Office fédéral de l’agriculture (OFA) en vue d’une réduction de la production de viande. Cette idée provoque la controverse et les propositions n’ont pas été ratifiées, mais c’est un signe que les lignes sont en train de bouger. Il faudrait que le parlement prenne vraiment conscience de l’urgence de la situation et modifie le cadre législatif en conséquence. Dans leur majorité, les entreprises industrielles et la grande distribution résistent, les consommateurs sont réticents à changer leurs habitudes et les politiques ne font pas preuve du courage nécessaire. Les seuls incitatifs ne suffiront pas et je pense personnellement qu’il faudra aussi passer par des lois contraignantes. **Quelles solutions les technologies peuvent-elles apporter?** Leur contribution va être cruciale, même si la méfiance des consommateurs à leur égard est bien réelle. Mais elles n’offrent pas l’entier de la solution. Les lois et les mentalités doivent également changer. Et il faut éviter pour ce faire l’incohérence de certaines décisions. Prenez l’exemple de l’Union européenne qui soutient activement la recherche et le développement d’alternatives aux produits carnés et qui, dans le même temps, débloque un budget marketing plus conséquent encore pour la promotion de la viande européenne. Comme trop souvent, on marche sur la tête.
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* * * **Bio express** **1965** Naissance à Nyon de père suisse et de mère suédoise. **1993** Obtient une licence en biochimie et biologie moléculaire puis en HEC à l’Université de Lausanne. **1995** Entre chez Tetra Pak. **2006** Chef du Beverage Center de Nestlé à Orbe. **2010** Divers postes chez Firmenich à Genève, Dubaï et New-York. **2015** CEO de la start-up vaudoise Homdec. **2019** Prend la direction du Integrative Food & Nutrition Centre de l’EPFL.

Lundi 08 janvier 2024, 11h00 - LIRE LA SUITE
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