Début décembre, le gouvernement français annonçait l’arrivée pour 2024 du logiciel MIA Seconde, basé sur l’intelligence artificielle. Des solutions similaires pourraient apparaître dans les établissements helvétiques, mais rien n’est encore décidé
Début décembre, Gabriel Attal, alors ministre de l’Education nationale – il a depuis été nommé premier ministre –, annonçait de nombreuses mesures pour améliorer l’enseignement en France. Dont une qui a particulièrement attiré l’attention: proposer un système basé sur l’intelligence artificielle (IA). Concrètement, dès septembre 2024, tous les nouveaux lycéens entrant en seconde (soit dès l’âge de 15 ans) disposeront d’un logiciel basé sur l’IA pour le français et les mathématiques.
Ce logiciel est développé par la start-up parisienne EvidenceB. Nommé MIA Seconde, le système comprend 20 000 exercices adaptatifs en ligne, sur smartphone ou sur tablette. Au début, l’élève passe un test pour évaluer son niveau. Ensuite, l’IA construit son parcours personnalisé. L’élève dispose d’un tableau de bord pour évaluer ses progrès ou ses points faibles. Et l’enseignant a accès aux mêmes informations. Selon Thierry de Vulpillières, cofondateur d’EvidenceB, interrogé par l’AFP, «l’IA capte davantage de signaux qu’un enseignant ne peut le faire, en voyant là où l’élève a hésité, là où il est à l’aise, ce qui aide l’enseignant dans ses décisions pédagogiques. Elle peut en particulier repérer les lacunes.»
### Aspects positifs
Que penser d’un tel système? Contactée par _Le Temps_, Viridiana Marc, secrétaire générale adjointe de la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin, estime qu’il «a l’avantage de proposer une réponse de soutien et d’accompagnement aux apprentissages des élèves dans un pays où les classes sont surchargées et où l’enseignant peine, sans doute, à apporter l’aide bien ciblée pour tous ses élèves. Le système d’_adaptative learning_ n’est pas nouveau et certains dispositifs existent déjà, mais on peut espérer que l’IA utilisée ici puisse aider à mieux cibler les besoins des élèves.
Mais attention, poursuit Viridiana Marc, «on peut aussi critiquer une certaine perte de latitude de l’enseignant dans le choix et la manière d’aborder certains apprentissages: ce système propose certes différentes voies, mais l’approche risque d’être relativement récurrente et s’il est une richesse de la classe, ce sont bien les interactions et la dynamique que peut produire un bon enseignement. Ces interactions avec l’enseignant, et entre les jeunes, sont riches et facilitent la mémorisation. Elles font, de plus, partie des apprentissages du vivre-ensemble et elles ne pourront être remplacées par un système numérique.»
### Plateformes envisagées
La spécialiste met aussi en avant la difficulté de motiver les jeunes et de les rendre autonomes dans leur travail. Mais, poursuit Viridiana Marc, «le support numérique peut toutefois être un émulateur, dans les premiers temps sans doute, mais à voir sur le plus long terme…»
En Suisse, des projets similaires sont-ils lancés? «A ma connaissance, il n’existe pas de projet au niveau national ou cantonal identique pour entraîner les connaissances des élèves, mais différents exerciseurs (sans système d’IA) sont utilisés pour entraîner les connaissances des élèves, répond la responsable. Des plateformes d’accompagnement des jeunes dans le suivi et le développement de leurs compétences ont toutefois été élaborées pour les formations professionnelles aux niveaux intercantonal et national. Pour l’école obligatoire, il est prévu à terme de disposer d’une plateforme pour les élèves de Suisse romande: en pleine conceptualisation, la question de disposer de tels outils se posera bien sûr.»
L’IA commence à être utilisée aussi dans le secteur privé. La société Magma Learning, basée à Lausanne, collabore déjà avec l’Ecole Ardévaz à Sion, le Collège Champittet à Pully, l’Ecole supérieure de la santé à Lausanne ou encore le Collège de Gambach à Fribourg. «A partir du matériel de cours de ces écoles, notre IA a pu générer des milliers de contenus de micro-apprentissage de différents formats, comme des questions à choix multiples. En fonction des interactions quotidiennes avec les élèves, notre tuteur personnel élabore progressivement un modèle de la connaissance de chacun d’entre eux, grâce à des réseaux de
NEURONES développés par notre équipe, en collaboration avec l’EPFL», affirme Maxime Gabella, directeur de Magma Learning. Selon lui, son «tuteur IA vient en complément des cours, et la consolidation des connaissances qu’il apporte vient rendre les interactions entre élèves et enseignants d’autant plus intéressantes et fructueuses.»
### Systèmes souverains?
Dans le secteur public, Viridiana Marc attire enfin l’attention sur la nature des logiciels eux-mêmes: «L’éducation numérique qui se met en place vise une culture et une citoyenneté numériques qui doivent permettre de penser aux conditions d’usages qu’imposent ces systèmes. Il faut savoir se démarquer de ceux-ci lorsqu’ils exigent des données personnelles ou développer en Suisse des systèmes souverains: cela viendra très prochainement, à n’en pas douter.»
A noter enfin qu’on apprenait début décembre que l’IA fera son apparition au printemps prochain dans les écoles de la ville de Zoug. Les élèves apprendront à l’utiliser à bon escient, notamment à travers une plateforme en ligne. La ville a lancé le projet, d’un coût de 30 000 francs, en collaboration avec les hautes écoles pédagogiques de Zoug et Lucerne. Dans un premier temps, les enseignants vont élaborer une approche du sujet et fixer les règles d’utilisation de l’IA. Ils prépareront ensuite et mettront en œuvre des heures d’enseignement à partir de mars 2024. L’intelligence artificielle ne deviendra pas une branche d’enseignement en soi. Elle sera utilisée comme méthode d’enseignement parmi d’autres.