ÉDITORIAL. Pour la deuxième fois en moins de deux ans, la BNS prend les experts de court puisqu’elle abaisse son taux directeur plus tôt que prévu. Un choix qui atteste d’un changement de priorité monétaire
Il faut revenir en 2012 pour mesurer le chemin accompli par Thomas Jordan. Le Biennois d’origine se retrouvait propulsé à la tête de la Banque nationale suisse (BNS) par la démission forcée du flamboyant Philipp Hildebrand.
Si l’économiste n’a pas forcément le charisme de son prédécesseur, aujourd’hui reconverti dans la finance privée, il a rapidement manifesté son sens du timing monétaire. Le 15 janvier 2015, il prend les marchés financiers de court en supprimant le taux plancher de 1,20 franc pour 1 euro, introduit quatre ans plus tôt. Avec ses deux collègues de la présidence, le banquier central remet ça en juin 2022, brûlant la politesse à la Banque centrale européenne. La BNS amorce un resserrement monétaire qui permettra à la Suisse de quitter quelques mois plus tard l’inconfortable territoire des taux d’intérêt négatifs dans lequel elle croupissait depuis près de huit ans.
La voilà aujourd’hui qui remet cela, au nez et à la barbe des oracles financiers qui, tous, misaient sur un statu quo avant un assouplissement de la politique monétaire envisagé en juin. Que nenni! Une fois de plus, Thomas Jordan et ses deux dauphins Martin Schlegel et Antoine Martin ont saisi la balle au bond, en abaissant ce jeudi, contre toute attente, le taux d’intérêt de la BNS de 1,75% à 1,5%.
### Un choix logique
Sur le papier, pourtant, tout était là. Bien sûr, la conjoncture helvétique n’est pas étincelante avec une évolution du PIB mesurée à 1,3% en 2023, et attendue à 1,1% en 2024 – un chiffre qui ne manquera pas d’être revu à la suite de l’annonce de ce jour. La santé de l’économie suisse reste toutefois bien au-dessus de la mêlée européenne. Les répercussions de la hausse des taux sur l’emploi sont, elles, limitées en raison du départ à la retraite d’une énorme cohorte de baby-boomers. Cerise sur le gâteau pour la BNS, le rebond de l’inflation attendu en début d’année n’a pas eu lieu. N’en jetez plus! La voie était libre.
Une brèche providentielle dans laquelle le triumvirat monétaire ne s’est pas privé de s’engouffrer, nous signalant ainsi au passage que la lutte contre la hausse des prix n’est plus sa priorité. A priori, il peut se le permettre puisque l’inflation était évaluée à 1,2% en février, largement dans la fourchette comprise entre 0 et 2% que se fixe la banque centrale.
### Un bilan encore à peaufiner
En prenant la tête du mouvement de baisse des taux attendu cette année en Europe et aux Etats-Unis, la BNS replace – intentionnellement ou non – le curseur sur la stabilité du franc, offrant un probable bol d’oxygène aux entreprises exportatrices du pays. Elles s’étaient retrouvées asphyxiées en fin d’année dernière par une valorisation rapide et simultanée du franc par rapport au dollar et à l’euro. La situation s’est déjà détendue depuis le début de l’année, elle devrait encore s’améliorer ces prochaines semaines.
Le bilan de Thomas Jordan, qui quittera l’institution cet automne, reste à peaufiner. La politique d’investissement de la BNS, qui a vu son bilan exploser ces dix dernières années, est régulièrement pointée du doigt pour son empreinte carbone. Il aurait aussi été de bon ton de voir le président de la BNS intervenir publiquement durant la semaine qui a précédé l’effondrement de Credit Suisse. Sans oublier que l’homme a peut-être, probablement, régné sans partage. Sur le plan monétaire, il entrera sans conteste dans l’histoire économique suisse comme un redoutable et rusé banquier central. Il s’agit désormais de lui trouver un successeur à la hauteur pour continuer à offrir des conditions-cadres favorables à la Suisse.