Genève peut dire merci aux négociants français

ÉDITORIAL. En 2023, les équipes genevoises de TotalEnergies ont publié un bénéfice net de plusieurs milliards de dollars. De quoi booster les recettes fiscales riches en carbone du canton

Le monde du négoce de matières premières est une terre de contrastes et de fantasmes. Les principales firmes de trading connues, les Vitol, Glencore, Gunvor et autres, sont souvent associées à des chiffres d’affaires mirobolants, des scandales et des aventures. Et, durant ces dernières années de volatilité, à des bénéfices immenses ainsi qu’à des excédents fiscaux historiques à Genève.

Jadis secret, ce monde s’est progressivement dévoilé, à l’image de Trafigura à la suite d’un scandale en 2006, ou de Glencore, coté en bourse depuis 2011. Une ouverture qui s’est accompagnée d’une plus grande couverture médiatique. Leurs noms, ainsi que ceux de Louis Dreyfus, Mercuria ou Cargill, commencent à être connus du public.

Le plus grand d’entre eux en Suisse, par contre, a choisi de rester discret. TotalEnergies, et ses filiales de trading, commercialise du pétrole à Genève depuis 1984. Il figure parmi les principaux contributeurs du canton (à moins qu’il n’en soit le principal) depuis trois décennies. Il emploie 1000 spécialistes en pétrole, en gaz et en électricité à côté de l’aéroport, ce qui en fait le plus gros négociant en Suisse. Mais personne ne le connaît.

### Un gigantesque échec journalistique On peut y voir un gigantesque échec journalistique car en quarante ans quasi aucun article n’a été consacré aux filiales genevoises de TotalEnergies. On peut aussi en conclure qu’opter pour la discrétion au XXIe siècle, ça paie. Prenons l’exemple de Glencore. La firme zougoise déchaîne les passions depuis des années, un [opéra](https://www.letemps.ch/culture/scenes/a-geneve-l-opera-justice-vibre-plus-par-sa-mise-en-scene-que-par-sa-musique) a même été consacré à un accident lié à l’une de ses mines au Congo. [Le groupe est la cible préférée des tenants de l’initiative contre les multinationales responsable](https://www.letemps.ch/economie/energie/glencore-geant-charbon-metaux-polemique)s et des ONG parce qu’il a trempé dans de sales affaires et qu’il commercialise du charbon, une énergie polluante. **Lire également:** [Les Etats-Unis vont scruter Glencore à la loupe sur le sol suisse](https://www.letemps.ch/economie/etatsunis-scruter-glencore-loupe-sol-suisse) Les filiales genevoises de TotalEnergies, Totsa et TGP, pendant ce temps, paissent paisiblement à Cointrin, enfouies dans une maison mère (qui, elle, fait l’objet de grosses critiques en France), à l’abri des projecteurs. Elles ne traînent certes aucune casserole récente, mais leurs parcours sont comparables. Glencore a été fondé par Marc Rich en 1974, un trader devenu célèbre qui s’est substitué aux majors pétrolières et qui a réinventé les canaux de vente de pétrole, avant que sa société ne soit reprise et ne devienne le géant qu’on connaît. En 1984, un autre visionnaire beaucoup moins connu, Bernard de Combret, lance une activité similaire à Genève, Elf Trading, sur des circuits pétroliers comparables. Son entreprise croît aussi vite que l’ancienne Marc Rich Co (la société de Marc Rich); elle n’a pas été épargnée par les scandales non plus, avant d’être absorbée par un plus grand groupe, TotalEnergies. L’un fait couler l’encre, l’autre pas. On peut s’en accommoder ou non. En attendant, tout le monde profite de ce secteur haut en couleur au bout du Léman, où l’Etat vient d’annoncer des baisses d’impôts. * * * **Retrouvez** [tous les éditoriaux du _Temps_](https://www.letemps.ch/opinions/editoriaux)