
Avec l’entrée en vigueur de la loi sur le Hamas, le 15 mai, les intermédiaires financiers suisses ne peuvent pas maintenir des relations d’affaires avec le Hamas ou une autre organisation affiliée. S’assurer que c’est bien le cas paraît judicieux
C’est dans un contexte géopolitique très agité que la loi fédérale interdisant le Hamas et ses organisations apparentées (loi sur le Hamas) a été adoptée par le parlement en date du 20 décembre 2024. Il est dès lors probablement naturel que son entrée en vigueur le 15 mai 2025 soit passée relativement inaperçue. L’on rappellera que cette loi a été votée à une large majorité portée par une opinion publique indignée par l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023.
Cette loi avait elle-même été précédée par une ordonnance du Conseil fédéral du 10 avril 2024, qui impose certaines mesures à l’encontre de personnes et entités soutenant le Hamas. Parmi les mesures prévues par cette ordonnance figure le blocage des fonds pouvant bénéficier directement ou indirectement au Hamas (art. 2 al. 1). L’ordonnance interdit par ailleurs l’entrée en Suisse ou le transit de personnes liées à cette organisation (art. 3 al. 1). Douze individus et 3 sociétés sont aujourd’hui visés par cette ordonnance. Le Hamas, pour sa part, n’est pas directement visé par celle-ci.
Ces mesures s’inscrivent dans la continuité de celles déjà adoptées à l’encontre de cette organisation sur le plan international, notamment aux USA et au sein de l’Union européenne. Ainsi, l’Office of Foreign Assets Control (OFAC), une agence du Trésor américain, a pris des mesures contre le Hamas depuis 2001, mesures qu’elle a considérablement renforcées après l’attaque du 7 octobre 2023.
Jusqu’à 20 ans de prison
En parallèle, le Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN), une autre unité du Trésor, a émis une série de recommandations destinées aux institutions financières et visant à faciliter l’identification des flux de financement liés au Hamas.
La loi sur le Hamas a pour but d’interdire dans notre pays le Hamas et toute organisation qui lui est apparentée. Elle a pour objectif d’empêcher l’utilisation de notre pays et notamment de son système financier par cette organisation. Cette loi est – une fois n’est pas coutume – très concise, n’ayant qu’un seul article.
L’interdiction promulguée par la loi sur le Hamas a pour effet d’entraîner l’application d’autres dispositions de l’arsenal législatif suisse, notamment celles du Code pénal (CP) et de la loi sur le blanchiment d’argent (LBA).
Ainsi, toute participation ou tout soutien, notamment financier, au Hamas ou aux organisations apparentées, considérées ainsi comme des organisations terroristes, devient dorénavant passible d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à 20 ans ou d’une peine pécuniaire (art. 260ter CP). La criminalisation de cette activité peut par ailleurs avoir pour conséquence de déclencher l’application de l’infraction de blanchiment aggravé (art. 305bis ch. 2 CP).
Les entreprises aussi
Toute intervention dans le transfert, dépôt ou gestion d’avoirs appartenant au Hamas ou à une entité affiliée est ainsi susceptible d’entraîner pour son auteur une condamnation de 5 ans de prison au plus et la confiscation des fonds incriminés. Précision importante: ces deux infractions pénales ont vocation à s’appliquer non seulement aux individus impliqués dans la participation ou le soutien au Hamas, mais également aux entreprises au sein desquelles ces individus ont opéré (art. 102 CP).
Cela sera notamment le cas des institutions financières par le truchement desquelles des fonds émanant de ou destinés au Hamas, ou des organisations affiliées, ont transité. Ces institutions s’exposent à une amende maximale de 5 millions de francs, ainsi qu’au paiement d’une créance compensatrice correspondant au produit de l’activité criminelle. Les institutions concernées seront par ailleurs exposées à des conséquences réglementaires de la part de la Finma.
Fin de l’ambiguïté
Avec l’entrée en vigueur de la loi sur le Hamas, la situation juridique ne souffre désormais plus d’aucune ambiguïté: les intermédiaires financiers suisses ne sont pas en droit de maintenir des relations d’affaires avec le Hamas ou autre organisation affiliée.
Par ailleurs, le soupçon fondé que des avoirs dont ils ont la garde ou assurent la gestion ou le transfert ont un lien avec cette organisation terroriste déclenche une obligation de communication au Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS).
La clarification de la situation juridique devrait également conduire à des échanges accrus d’informations entre le MROS et ses homologues à l’étranger (Financial Intelligence Unit/FIU).
Au vu du contexte international et des expériences passées, l’on peut supposer que les banques suisses aient anticipé cette évolution et aient mis fin à toute relation d’affaires avec ce type d’organisation criminelle ou terroriste sans attendre l’entrée en vigueur de la loi sur le Hamas.
Amende de 777 millions
Cela dit, il pourrait s’avérer prudent pour ces banques de vérifier que tel est bien le cas et de s’assurer qu’elles n’ont pas été impliquées dans le transfert de fonds destinés à ou provenant de telles organisations (ou à des entités en apparence caritatives qui y sont affiliées). Cette vérification devrait en outre inclure la période antérieure au 15 mai 2025.
Dans ce contexte, il convient de se rappeler, d’une part, que le Hamas est considéré comme une organisation terroriste depuis plusieurs années dans de nombreux pays (p. ex. Union européenne, Royaume-Uni et USA) et que la Finma s’attend à ce que les établissements financiers suisses intègrent les risques juridiques étrangers de manière appropriée au regard de leurs activités commerciales. D’autre part, une obligation de communication au MROS peut, sous certaines conditions, s’appliquer même à des relations d’affaires déjà clôturées.
Cette problématique n’est pas académique ni purement théorique, comme l’atteste l’amende de 777 millions de dollars prononcée en 2024 par le Département de la justice des Etats-Unis (DOJ) contre LAFARGE en lien avec des flux financiers en faveur de groupes terroristes en Syrie et, plus récemment, la création le 17 mars 2025 par ce même DOJ d’une Joint Task Force intitulée JTF 7-10 destinée à enquêter sur les personnes et institutions ayant contribué d’une manière ou d’une autre, notamment financièrement, à l’attaque du 7 octobre 2023.
Retrouvez notre suivi du conflit entre Israël et le Hamas