
ÉDITORIAL. Le géant européen de l’acier renonce à de juteuses subventions promises par Berlin pour produire de l’acier vert. Un rétropédalage qui témoigne de la profonde crise d’un secteur jugé hautement stratégique et de la difficulté d’y répondre
Investir un montant de 2,5 milliards d’euros dont la moitié est subventionnée par l’Etat. Voilà un plan qui a de quoi faire saliver bien des entreprises, d’autant plus dans le contexte de forte incertitude qui prévaut. Pourtant, en fin de semaine dernière, le géant ARCELORMITTAL a décliné l’aide généreuse que le précédent gouvernement allemand lui proposait pour convertir deux sites industriels à la production d’acier vert.
Alors que ce matériau emblématique de la construction européenne – lancée par la communauté du charbon et de l’acier en 1951 – déferle à prix cassés sur le Vieux-Continent, bradé par des producteurs chinois en surcapacités, le groupe basé à Luxembourg a fait ses calculs. Il juge que, même à grand renfort de deniers publics, le jeu n’en vaut pas la chandelle car de trop grands doutes pèsent sur ses perspectives de rentabilité du projet. Les autres producteurs d’acier historiques allemands que sont Salzgitter ou ThyssenKrupp vont, eux, participer au programme mais font aussi face à des vents contraires d’une violence inouïe. Car à la concurrence chinoise sont venus s’ajouter 25% puis 50% de droits de douane décrétés par l’administration Trump sur les exportations d’acier et d’aluminium aux Etats-Unis. Sans oublier des coûts de l’énergie qui ont explosé pour cette industrie lourde.
Des forces du marché implacables
Après les fabricants de panneaux photovoltaïques, les producteurs d’acier témoignent à leur tour de la situation inextricable dans laquelle le nouvel ordre économique mondial place l’industrie européenne. Une donne faite de rapports de force et de distorsion de concurrence à laquelle la Suisse n’échappe pas. Avant d’accepter un soutien concocté par le parlement fédéral, les propriétaires des aciéries Stahl Gerlafingen et Swiss Steel ont donc réfléchi à deux fois. Plutôt que de prévoir un apport public direct, le mécanisme d’aide concocté répartit le manque à gagner sur les autres utilisateurs du réseau.
Ayant tout du cas d’école, cette initiative a un mérite même pour ses détracteurs. Pour un coût modeste, elle va permettre de vérifier si la main étatique peut contrer les puissantes forces d’un marché, qui plus est en dysfonctionnement total. L’Union européenne devra, elle aussi, faire preuve d’une sacrée dose d’ingéniosité et d’habileté pour venir à la rescousse de son industrie de l’acier. Une seule certitude: le temps presse pour un secteur jugé hautement stratégique.