«Temenos ne vit pas un revirement, mais une accélération»Nouvelles tendances du marché, évolution du modèle d’affaires, à la suite de l’affaire Hindenburg: le nouveau patron de Temenos explique comment l’éditeur genevois de logiciels bancaires veut renouer avec les beaux jours En mai dernier, Jean-Pierre Brulard a pris les commandes de Temenos à un moment charnière pour l’éditeur genevois de logiciels bancaires. Trois mois auparavant, la société s’était fait étriller par la société d’investissement Hindenburg Research, qui lui reprochait des manipulations comptables et des pratiques commerciales douteuses. La publication du rapport de ce vendeur à découvert (qui parie sur la baisse des cours des sociétés qu’il cible) a provoqué une chute de 30% de l’action Temenos en une seule séance. L’enquête indépendante mandatée par l’entreprise de logiciels pour examiner les reproches formulés par Hindenburg Research n’a pas fait apparaître d’opérations problématiques. Cette attaque s’est produite alors que le titre subissait déjà une tendance baissière depuis mi-2019 (son cours a été divisé par trois depuis mai de cette année-là), sur fond de résultats jugés décevants par les investisseurs. Début 2023, le directeur général précédent, Max Chuard, a quitté son poste après quatre ans. Il avait été remplacé ad interim par Andreas Andreades, jusque-là président après avoir dirigé l’entreprise. Durant toute cette période, Temenos a été confrontée à un marché changeant, avec la montée en puissance du cloud et des SaaS, c’est-à-dire des logiciels exploités par des fournisseurs de services – comme Temenos – et accessible à distance par leurs clients. Ces évolutions continuent à avoir des répercussions considérables sur le modèle d’affaires de Temenos, nous explique Jean-Pierre Brulard. Avec des aspects positifs – des revenus plus récurrents et plus prévisibles, ce qu’adorent les marchés financiers – mais aussi des défis à relever: conserver des marges et de la croissance pendant cette période de transition. Le pilotage de cette évolution a donc été confié à un Breton d’origine passé par la Silicon Valley, où il a dirigé les ventes mondiales pour le géant du logiciel VMware, spécialisé notamment dans le cloud et comptant plus de 30 000 employés. L’un des rares Européens à être monté aussi haut dans la hiérarchie d’un groupe technologique californien, Jean-Pierre Brulard revient sur les orientations dévoilées par Temenos lors de sa journée des investisseurs du 12 novembre et décrypte les grandes évolutions du secteur des fintechs. Entre nécessité de réduire les coûts pour les banques et l’émergence de nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle générative et la crypto, le tout dans un secteur extrêmement réglementé. Le Temps: On parle beaucoup de l’intelligence artificielle générative en ce moment. Concrètement, quelle influence cette technologie a-t-elle sur votre activité, vos logiciels? Jean-Pierre Brulard: Avec le cloud, l’intelligence artificielle générative est l’autre grand domaine dans lequel nous allons massivement investir ces quatre prochaines années. Des partenaires importants comme MICROSOFT et AMAZON Web Services investissent des milliards de dollars sur la partie plateforme et notre but est d’embarquer l’intelligence générative dans nos logiciels, sur des cas d’usage précis. Par exemple? Il y a des choses assez faciles, comme intégrer dans nos produits Copilot, le chatbot de MICROSOFT qui permet de créer du texte et d’autres contenus. Un élément déterminant sera de lier la gestion des données et l’intelligence générative. Il faut absolument éviter de mélanger les données transactionnelles des banques, qui sont ultra-sécurisées, et les données analytiques. En interne, nous utilisons déjà l’intelligence artificielle générative pour le développement de logiciels et pour le support aux utilisateurs, qui devient prédictif. Nous nous basons sur les données du millier de banques que nous servons dans le monde pour anticiper des problèmes à venir, dans l’usage de nos produits ou en matière de cybersécurité. Qu’est-ce que l’IA générative permettra aux utilisateurs de vos logiciels? Dans la gestion de patrimoine, par exemple, les conseillers pourront améliorer leur service en s’appuyant sur des données comme les profils d’utilisateurs ou les rendements obtenus par d’autres clients. L’IA ne va pas remplacer l’humain, mais améliorer les pratiques. Il faut que cette technologie soit bien encadrée; la meilleure façon de le faire est de l’intégrer dans nos logiciels, avec l’aval des régulateurs et des spécialistes de la conformité dans les banques. Vos logiciels permettent-ils de gérer des cryptos ou de les intégrer dans l’activité d’une banque? Pas encore, nous réfléchissons à la valeur ajoutée que nous pourrions apporter sur ce marché. C’est la même réflexion que lorsque le numérique et les néobanques ont émergé. Nous avions complètement intégré la digitalisation dans nos offres, ce qui nous a permis de servir à la fois les banques existantes qui voulaient se digitaliser, mais aussi les fintechs et les néobanques qui avaient besoin d’une plateforme technologique pour se développer. Pourquoi avez-vous décidé d’investir massivement dans le cloud? Les clients eux-mêmes ont déjà énormément investi. Les plus grandes banques ont beaucoup investi dans le cloud, qu’il soit public ou privé, pour des raisons d’agilité, de stabilité, de coût de performance et même de sécurité. Nous devons suivre ce moment. De plus, le cloud permet d’effectuer une maintenance et une amélioration de nos produits quasiment en continu. C’est plus indolore pour nos clients que d’effectuer une mise à jour annuelle, et cela nous apportera des revenus beaucoup plus récurrents et prévisibles, ce qui devrait soutenir la valorisation de Temenos. Et pour les petites banques? Comme elles n’ont généralement pas les ressources pour investir dans le cloud et dans la gestion du cloud, nous leur fournissons un service clé en main, c’est-à-dire que nous gérons les opérations cloud pour eux. Pour vous donner quelques chiffres, notre marché devrait passer de 23 milliards de dollars à 30 milliards en 2028, ce qui représente une croissance annuelle de 7%. Nous voulons croître plus rapidement. Or l’activité dite «on-premise» (dans laquelle la banque fait tourner ses logiciels sur ses propres serveurs) devrait passer de 67% à 59% de ce total en 2028, avec une croissance de 4% par an. A l’inverse, la partie cloud (la banque fait tourner ses logiciels sur une infrastructure cloud) et SaaS (Temenos fait tourner les logiciels pour la banque sur une infrastructure cloud) va progresser, passant de 33% à 41% du marché, avec une croissance annuelle à deux chiffres. Le segment SaaS va croître de 12% annuellement et le cloud, de 16%. Qu’est-ce que cela va changer pour Temenos? Ces tendances se traduisent par un changement de modèle. Dans le modèle «on-premise», on vend des licences au départ, ce qui crée du revenu immédiat. Quand vous passez sur un modèle SaaS, vous différez les revenus alors que vous avez toujours vos dépenses. Comme Temenos est cotée à la bourse suisse, nos actionnaires nous demandent aussi de conserver de la marge opérationnelle durant cette transformation. Le dilemme que nous devons résoudre est le suivant: on doit passer sur ce modèle de revenus récurrents, et en même temps garantir une marge opérationnelle et un bon cash-flow. On dirait qu’il faut sacrifier quelque chose… Cet équilibre n’est pas facile à conserver. Aux Etats-unis, les sociétés de logiciels qui ont traversé ce processus, comme Adobe, n’ont pas hésité à avoir des chiffres quasiment négatifs pendant la transformation. Nous devons assurer les deux aspects. Sur les cinq dernières années, les revenus récurrents de Temenos sont passés de 60 à 80% du chiffre d’affaires total. En même temps, l’entreprise a gardé sa marge opérationnelle et ses investissements sur la recherche et le développement, mais au détriment de la croissance, qui a été plus faible que ce que les investisseurs attendaient. Cela explique l’évolution des cinq dernières années [l’action Temenos a perdu plus de 60%, ndlr]. Nous avons encore des investissements à faire pour évoluer vers des revenus plus récurrents. Nous avons d’ailleurs annoncé le 12 novembre au Capital Market Day que nous allions investir près de 150 millions de dollars dans les quatre ans qui viennent dans les produits, la technologie et la partie vente, notamment aux Etats-Unis. Pourquoi mettez-vous l’accent sur les Etats-Unis? D’une part, parce que c’est le marché le plus important, qui représente 35% de nos ventes potentielles, et d’autre part, parce que les quelque 150 banques régionales américaines doivent investir dans la technologie pour faire face à la concurrence des grandes et pour ne pas se faire racheter. Plusieurs grandes banques régionales que j’ai rencontrées récemment ont déjà investi. Durant la récente journée pour les investisseurs, pourquoi avez-vous décalé d’un an les objectifs à moyen terme? Après une certaine déception des investisseurs sur la croissance les quatre ou cinq dernières années, regagner de la confiance passe par des objectifs crédibles, réalistes, et par des investissements, qui sont des moteurs de croissance. Nous avons aussi défini des points de passage dans la réalisation de nos objectifs. D’ailleurs, l’action a bien réagi après la présentation de cette stratégie; c’était une journée à 400 millions de dollars [l’augmentation de la capitalisation boursière ce jour-là, ndlr], donc c’était plutôt sympa. Néanmoins, l’action reste plus ou moins au niveau où elle est tombée après le rapport de Hindenburg Research, qui accusait Temenos de diverses malversations. Restaurer la confiance passera aussi par un certain nombre de résultats trimestriels, cela ne va pas se faire sur un seul trimestre. Le marché va demander des performances constantes trimestre après trimestre. Ce que vit Temenos n’est pas un turnaround [un redressement, ndlr], c’est une accélération. Pensez-vous que les investisseurs ont encore des doutes concernant les affirmations de Hindenburg Research? Les accusations ont été réfutées de manière convaincante. La perception de l’entreprise a été complètement clarifiée. Le conseil d’administration a investi énormément d’argent et d’énergie, en confiant une enquête indépendante à des entreprises aux Etats-Unis et en Europe, ce qui a d’ailleurs pesé un peu sur nos comptes cette année. Nous avons analysé des centaines de milliers de documents, en remontant sur trois ans, pour revoir toutes les allégations. Combien a coûté cette enquête justement? Je ne peux pas vous le dire. J’aurais préféré qu’on investisse cet argent pour nos clients plutôt que pour des vendeurs à découvert qui ont fait un aller et retour sur les marchés. Je dois dire d’ailleurs que nous avons eu énormément de confiance et de soutien de nos clients pendant cette période. Quand vous avez été approché pour reprendre la direction de Temenos, quelle a été votre première réaction? J’ai été intéressé par l’opportunité de diriger une société cotée en bourse, ce que je n’avais jamais fait. J’ai travaillé dans de grands groupes américains et j’ai passé plus de sept ans chez BUSINESS OBJECTS, qui est une société européenne de logiciels. Donc je connais les défis que peut rencontrer une société européenne pour réussir sur un marché global. Ce qui m’intéressait aussi était de pouvoir avoir de l’impact sur le nouveau chapitre de Temenos. Je n’oublierai jamais ce que m’a dit un client, rencontré peu après mon entrée en fonction: «Si on doit changer de logiciel bancaire, c’est comme une chirurgie cardiaque. Si on peut l’éviter, on l’évite.» Nos clients nous font confiance et veulent nous voir réussir. Bio express1959 Naissance à Rennes (Bretagne). 1983 Début de carrière chez Unisys. 2000 BUSINESS OBJECTS, devient responsable de la zone EMEA. 2009 Rejoint VMware, devient vice-président en 2020. Mai 2024 CEO de Temenos. Lundi 25 novembre 2024, 06h00 - LIRE LA SUITE ![]()
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