
Pour la première fois depuis plus de 20 ans, le nombre de travailleurs frontaliers diminue au sud des Alpes. Les secteurs fortement dépendants s’interrogent sur l’impact à terme de la nouvelle imposition
Alors qu’en Suisse, le nombre de travailleurs frontaliers augmente (plus 2,9% par rapport à l’an dernier), au Tessin, c’est le contraire qui se produit. Après plus de vingt ans de hausse constante, le nombre de travailleurs traversant la frontière chaque jour, soit 78’683 en moyenne l’an passé, est en diminution. Ce nombre a baissé de 1,1% au dernier trimestre 2024 par rapport à la même période en 2023, et de 0,8% relativement au trimestre précédent, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS). Ce ralentissement historique est vraisemblablement lié à l’entrée en vigueur il y a un an et demi du nouvel accord sur l’imposition des frontaliers avec l’Italie.
Les syndicats tessinois estiment que les nouveaux frontaliers italiens - soit ceux qui ont intégré le marché du travail suisse après juillet 2023 et auprès desquels s’applique le nouvel accord fiscal - doivent désormais verser entre 10 et 30% d’impôts en plus, en fonction de leurs revenus. Une nouvelle donne qui rend le travail outre-frontière beaucoup moins attrayant pour eux. Les «anciens frontaliers», en revanche, continuent à être imposés à la source au Tessin et le canton restituera des ristournes d’impôts à l’Italie encore jusqu’en 2033.
La restauration très touchée
Certains secteurs économiques dépendants des Italiens constatent en effet une baisse des candidatures en provenance du nord de la Péninsule. Celui de la restauration et de l’hébergement est tout particulièrement touché, indique Massimo Suter, président de GastroTicino. «Il semble, en effet, que les travailleurs qualifiés actifs dans la restauration sont moins intéressés par un emploi au Tessin», observe-t-il.
En revanche, dans le secteur critique de la santé, où entre 20 et 30% des travailleurs sont des frontaliers italiens (plus nombreux dans le secteur privé que le secteur public), leur nombre semblerait stable. Porte-parole de l’Entité hospitalière tessinoise (EOC), Matteo Tessarolo indique que depuis plusieurs années, celle-ci est particulièrement attentive au recrutement de personnel résident. «Pas plus de 14% des membres du personnel infirmier vivent en Italie et le pourcentage de médecins est encore plus bas.» Mais il estime que la formation, la qualité du travail et des structures continueront à attirer les frontaliers.
Président de l’Association des cliniques privées tessinoises, Giancarlo Dillena non plus ne constate pas de différence, «pour le moment». «La plupart de notre personnel est plutôt âgé; ce sont des ‘’anciens frontaliers’’». Il s’attend toutefois à des répercussions à moyen et long terme. «Recruter de nouvelles forces de travail risque d’être plus difficile, nous suivons l’évolution de la situation de près».
Soulignant que le Tessin n’a pas assez de résidents pour répondre à la demande de main d’œuvre, Giancarlo Dillena fait valoir que le problème est d’autant plus important que la Lombardie aussi souffre d’une pénurie d’infirmières et que le roulement de personnel dans le secteur est très élevé. «Nous devons chercher constamment.» Il note cependant que dans certains cas, des frontaliers décident de s’installer en Suisse.
Inquiétudes à moyen terme
Directeur de l’Association industrie tessinoise (AITI), Stefano Modenini fait le même constat, notamment en ce qui concerne les travailleurs qualifiés. Il signale que ses inquiétudes portent aussi plutôt sur le moyen et le long termes. «Sur les quelque 16’000 frontaliers employés dans l’industrie au Tessin, environ la moitié a plus de 50 ans. D’ici quelques années, nous serons confrontés à une pénurie de travailleurs qui ne pourra être remplacée que dans une certaine mesure par du personnel local.»
Luca Albertoni, directeur de la Chambre de commerce tessinoise (Cc-Ti), estime pour sa part qu’il est trop tôt pour affirmer que la récente baisse du nombre des frontaliers représente une tendance. «La reprise de l’économie lombarde et le ralentissement de l’économie suisse entrent aussi en ligne de compte.» Le niveau des salaires n’est pas le seul facteur déterminant, soutient-il. «Le différentiel avec l’Italie dans de nombreux domaines reste intéressant. Par rapport au passé, les travailleurs frontaliers sont moins disposés à faire de nombreux sacrifices pour gagner plus en travaillant au Tessin.»