
ÉDITORIAL. Klaus Schwab a eu le génie de faire exister et grandir un événement devenu unique au monde. Mais, quels que soient les faits avérés, l’histoire se termine mal pour lui. L’organisation doit perdurer sans lui
Klaus Schwab a-t-il commis les actes qui lui sont reprochés dans un courrier anonyme ou est-il innocent et victime d’une campagne diffamatoire comme il l’affirme? L’enquête indépendante lancée par le conseil de fondation du Forum économique mondial (WEF) répondra peut-être un jour à ces questions. A Pâques, l’Allemand de 87 ans a démissionné avec effet immédiat de la présidence du conseil de fondation du Forum, à la demande de ce dernier, alors qu’il avait annoncé son retrait pour 2027. Un conseil formé de 27 personnes, dont font partie l’ancien vice-président américain Al Gore, la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, le directeur de BlackRock, Larry Fink, et que préside désormais ad interim l’ancien PDG de Nestlé Peter Brabeck-Letmathe. Pas tout à fait une équipe de juniors.
Etrange sentiment pour l’observateur qui a entendu Klaus Schwab prôner inlassablement un monde meilleur, de bonnes règles de gouvernance, la diversité. Mais on ne parle pas ici de sentiments. Factuellement, l’homme de 87 ans n’est plus que le fondateur du Forum économique mondial et la chute est brutale.
Face à cette intrigue, il est facile de ricaner tant le WEF a pu irriter par ce qu’il représente: l’incarnation ultime du pouvoir. Il est pourtant bien le reflet de notre organisation planétaire, une partie de celle-ci, bien sûr, mais déterminante. Davos est un rassemblement unique de dirigeants, dans un cadre qui n’oblige pas la prise de décision. Et c’est bien ce qui en fait sa principale force.
Un Forum qui rend possible
Les retombées de ces sommets sont immenses pour la Suisse, financièrement et géopolitiquement. Les nations concurrentes qui seraient ravies de prendre cette place ne manquent pas. Mais il existe également un enjeu au-delà de notre pays.
Dans L’Heure des prédateurs, Giuliano da Empoli annonce la prise de pouvoir mondiale des géants de la tech et le déclassement de Davos. Comme pour l’illustrer, Elon Musk se moque depuis plusieurs années de la rencontre («boring as f…»), expliquant n’avoir aucun besoin de s’y rendre. Il cherchait pourtant par tous les moyens un accès au Forum lorsqu’il était plus jeune, expliquait un ancien cadre de l’organisation en janvier dernier.
Davos est-il devenu le symbole du vieux monde? Et si oui, quel est celui qui lui succédera? Une planète gérée par une poignée de multimilliardaires sans foi ni loi, à la tête de gigantesques sociétés qui possèdent nos données, les font fructifier et les utilisent éventuellement à des fins politiques? C’est peut-être la vraie question aujourd’hui. En permettant ces rencontres entre dirigeants politiques et économiques, le Forum a encore un sens, il est même plus que jamais nécessaire. Il ne remplace rien, ne décide de rien, mais rend possible. Le conseil de fondation du WEF porte la lourde responsabilité d’avancer vite pour assurer la suite. Pour la Suisse, et pour chercher à améliorer le monde. Ou pour éviter qu’il ne se détériore.