
Trois chercheurs sont récompensés pour leurs travaux sur la prospérité des nations et le rôle des institutions: Daron Acemoglu, Simon Johnson et James A. Robinson
Daron Acemoglu, Simon Johnson et James A. Robinson ont remporté le prix Nobel d’économie 2024 pour leurs travaux sur la compréhension des différences de prospérité entre les nations. Les chercheurs, qui travaillent tous les trois aux Etats-Unis, ont notamment analysé le rôle des institutions dans la richesse d’un pays, sur la base des systèmes mis en place après la colonisation de différentes parties du monde par les Européens au XVIe siècle.
Les chercheurs se sont intéressés à l’écart constant entre les pays les plus riches et les plus pauvres, même si ces derniers améliorent progressivement leur situation. Cette thématique est au centre de l’un des best-sellers publié par l’un l’Américano-turc Daron Acemoglu, qui faisait partie des favoris: «Why Nations Fail: The Origins of Power, Prosperity, and Poverty» (traduit en français par «Prospérité, puissance et pauvreté: Pourquoi certains pays réussissent mieux que d’autres»).
Institutions «inclusives» et «extractives»
Une explication possible tient aux différents types d’institutions politiques et économiques en place dans ces deux groupes de nations. Ces entités définissent les règles du jeu dans la société, en structurant les incitations qui influencent les échanges. Or on trouve deux sortes d’institutions, avancent Acemoglu, Johnson et Robinson: les «inclusives» et les «extractives». En résumé, les premières, qui sous-tendent la démocratie, sont «bonnes pour la croissance et la prospérité à long terme», tandis que les secondes «mènent à la pauvreté», a résumé le comité Nobel.
Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont étudié les conséquences de la colonisation de larges parties du monde par les Européens au XVIe siècle. Etudiant les taux de mortalité, les lauréats ont découvert que plus ces derniers étaient bas et plus les colons étaient nombreux. Et plus les colons européens étaient nombreux et plus il fallait d’institutions favorisant les investissements. A l’inverse, en présence de maladies comme la malaria, les institutions créées ont tendance à être «extractives», et bonnes pour une minorité.
La colonisation a aussi produit des revers de fortune pour les pays dominés. Parmi ceux qui étaient prospères avant la colonisation, certains sont devenus relativement plus pauvres au milieu des années 1990, lorsque les recherches primées par le comité Nobel ont été menées. L’inverse s’est également produit, largement car des institutions inclusives ont été mises en place dans les pays anciennement pauvres.
Pourquoi ne pas choisir la démocratie, alors?
Prenant du recul, Daron Acemoglu, Simon Johnson et James Robinson ont utilisé la théorie des jeux pour comprendre pourquoi les dirigeants d’un pays pauvre n’instaurent pas tout simplement des institutions inclusives, bonnes pour tout le monde.
On touche ici aux interactions entre les élites et les parties plus pauvres de la population. Les premières peuvent toujours promettre des réformes économiques, mais elles ne sont guère jugées crédibles tant que le roi demeure au pouvoir et ne change pas les institutions. Car les pauvres sont conscients que les riches pourront toujours s’approprier les ressources. Les pays avec des institutions extractives restent donc coincés avec des élites prospères et une population pauvre.
Mais cette difficulté à tenir des promesses explique également pourquoi des institutions évoluent, montrent encore les lauréats. Confrontées à une menace de révolution populaire, les élites font face à un dilemme: le roi peut promettre des réformes économiques mais il ne sera pas crédible. Sa seule option consiste donc à rendre le pouvoir, ce qui signifie instaurer la démocratie.
Les évolutions institutionnelles ont donc un impact énorme sur la prospérité des nations. Les auteurs se gardent bien de proposer une recette miracle, mais ils suggèrent que la promotion de la démocratie peut jouer un rôle majeur dans la réduction des inégalités.