
ÉDITORIAL. En Suisse, on pense que l’horlogerie met le pays à l’abri de la désindustrialisation, même si les conditions qui ont permis à la Swatch de sauver le secteur n’existent plus. La logique industrielle fait rêver, mais elle a un coût. Qui est prêt à le payer à part les Hayek?
Le monde occidental rêve de se réindustrialiser. En Suisse, la Swatch, qui a évité au pays la mort certaine de son horlogerie, continue de nous donner une leçon d’humilité. Maintenir une industrie vivante est une chose précieuse et elle a un coût. Derrière la marque, il y a le sauvetage historique de l’horlogerie suisse dans les années 1980 et avec elle l’ensemble de l’écosystème microtechnique. Mais le temps a passé et les propriétaires de Swatch, Swatch Group et la famille Hayek, semblent être les seuls à en payer le prix.
Depuis sa création par Nicolas Hayek, le groupe biennois défend la culture industrielle, avec le succès que l’on sait. Les générations suivantes ont repris ce flambeau et se heurtent maintenant à la dure réalité économique. Après avoir construit sa renaissance par la production en grands volumes, l’horlogerie a pris la voie du luxe. Jusqu’à arriver à la situation paradoxale actuelle: la Suisse produit toujours moins de montres, mais leur valeur explose. Le corollaire est une surcapacité, qui commence à devenir chronique et pourrait possiblement mener à une restructuration violente. Le recul de l’économie chinoise, la fermeture de la Russie, puis d’une partie du Moyen-Orient, accompagnés de la guerre commerciale artificielle de Trump, ne font qu’accentuer la réalité: le secteur repose sur les épaules de la clientèle fortunée.
La culture industrielle coûte que coûte
Mais il y a Swatch, restée sur la même logique industrielle qui a permis de sauver le secteur il y a plus de 40 ans. Nous avons pu visiter le site de production de Sion. Le tour ne laisse aucun doute sur le niveau d’innovation et tout le déploiement technologique qu’il faut pour fabriquer ces montres en Suisse. En ressortant de là, on ne rêve que d’une chose: que rien ne change jamais, qu’il y ait encore plus de phénomènes MoonSwatch – la collaboration avec Omega qui avait provoqué des files d’attente devant les boutiques.
Car au côté de la marque, il y a tout l’appareil de production de Swatch Group, pensé de manière transversale. Les ingénieurs de la montre plastique font partie de la même famille que ceux d’Omega et de Blancpain. Mais le coût de cette culture est lourd et repose sur la volonté des Hayek de la maintenir, coûte que coûte. Quitte à subventionner l’emploi malgré la baisse de la demande.
Pour le monde de la finance, c’est un gros problème. L’activiste américain Steven Wood, qui a tenté de s’infiltrer dans le conseil d’administration, l’a rappelé ce printemps. Il a été débouté, mais la question qu’il pose est légitime: est-ce raisonnable de soutenir l’industrie à n’importe quel prix? Pour l’instant, les Hayek répondent oui. La Suisse aura le temps de réfléchir à sa réindustrialisation si la famille change un jour d’avis.