
ÉDITORIAL. Dans un monde à cran, la Suisse s’inquiète pour sa sécurité militaire. Sans comprendre que c’est surtout sa compétitivité qui est en péril avec la fin du «doux commerce»
«On croit être au Moyen Age. On a l’impression d’avoir des seigneurs qui vont baiser les mains du monarque en le couvrant littéralement d’or pour obtenir une faveur de sa part.» Le conseiller national Raphaël Mahaim n’a pas mâché ses mots jeudi en annonçant le dépôt d’une dénonciation pénale à l’encontre des six patrons suisses qui ont offert début novembre un lingot d’or et une pendulette à Donald Trump.
La réunion dans le Bureau ovale semble avoir joué un rôle significatif dans l’obtention au prix fort d’une promesse de réduction des droits de douane de 39 à 15% pour les exportations suisses aux Etats-Unis. Mais les offrandes qui ont accompagné l’entrevue ne sont-elles pas assimilables à de la corruption? A la justice de trancher.
Personne ne le nie: la méthode employée est déplaisante. Une fois cela dit, qu’aurait dû ou pu faire la Suisse? Attendre que l’orage passe? Proposée par certains, cette alternative est douteuse. Donald Trump n’est que le symbole ostentatoire d’un monde en profonde mutation. Comme le résumait cette semaine l’économiste Branko Milanovic dans un podcast du Financial Times, après les espoirs portés par l’effondrement de l’Union soviétique, «c’est la fin de la fin de l’histoire.» Sans retour en arrière.
Le prix du commerce et de l’indépendance
La minuscule Suisse est plus concernée que n’importe quelle autre nation par ce changement d’époque, son industrie étant condamnée à sortir de ses frontières pour performer. Sans marché intérieur digne de ce nom à offrir en échange d’un accès facilité aux grands blocs économiques, notre pays doit payer son sésame en espèces sonnantes et trébuchantes. Car si les 200 milliards de dollars d’investissement promis aux Etats-Unis font beaucoup de bruit, on s’émeut moins des 100 milliards de francs mentionnés dans le cadre de l’accord de libre-échange avec l’Inde qui vient d’entrer en vigueur. Et même si le mécanisme est très différent, un parallèle peut être tiré avec les centaines de millions de contribution au fonds de cohésion européen.
Pratiquée de longue date par la Chine, cette approche risque d’aspirer de la valeur ajoutée hors de notre pays qui a, lui, perdu en compétitivité fiscale pour compenser ses pertes. Plutôt que de gonfler ses budgets militaires et raboter ceux qui sont alloués à l’innovation, la Suisse doit impérativement affûter ses armes pour mener une guerre commerciale qui n’est pas juste un vain mot mais témoigne d’une véritable bataille économique.
Dans le canton de Vaud, des entrepreneurs ont rédigé une une lettre ouvertepour proposer des pistes d’action, pendant que la Chambre d’économie publique du Grand Chasseral organisait récemment des Assises de l’industrie. Des initiatives qui montrent que les acteurs économiques, au front, ont compris l’urgence de la situation. Peut-on en dire autant de tous nos représentants sous la coupole fédérale? Pour l’heure, il est permis d’en douter.