L’investissement durable est-il soluble dans le coronavirus?
Dans les tempêtes boursières, les investissements thématiques sont en général les premiers à être vendus. La baisse du pétrole rend les énergies renouvelables nettement moins compétitives par rapport aux énergies fossiles. Néanmoins, les indices à dimension durable ont parfaitement tenu le choc jusqu’ici
Le thème de l’investissement durable et de l’ESG est-il soluble dans le coronavirus? Allons-nous assister à la fin de cette pratique d’investissement, devenue si populaire en 2019? N’était-elle finalement qu’une mode passagère, un investissement «de beau temps»? Quelle va être son évolution? Il est évidemment complexe de répondre à toutes ces questions, voici cependant quelques pistes de réflexion.
En 2001, le thème de la nouvelle économie (internet qui émergeait alors) a pratiquement disparu d’un coup, avant de renaître de ses cendres, des années plus tard. Mais ce purgatoire a duré longtemps: ce n’est qu’en 2015 que le Nasdaq a repassé son sommet, datant de l’an 2000. II en est allé de même pour les énergies renouvelables. Lors de la crise financière de 2008, le TAN (le principal fonds indiciel sur l’énergie solaire) et le FAN (son cousin sur l’éolien) ont perdu 90% de leur valeur, avant de rebondir. Ils restent encore loin de leur niveau d’alors.
Dans les tempêtes boursières, les investissements thématiques souffrent davantage que les autres. Ils sont en général les premiers à être vendus. Les investisseurs se replient sur des valeurs établies: grandes capitalisations, valeurs défensives, etc. Pour peu que le thème soit jeune, investi à travers des sociétés en phase de lancement et surévalué (comme c’était semble-t-il le cas pour le thème climat en début d’année), la débâcle est rude.
De plus, la récession qui se pointe n’est pas favorable. S’il faut arbitrer, les Etats pourraient choisir de financer d’abord des mesures sociales et de relance, avant les projets de long terme relatifs à l’environnement et au climat. On se souvient des chèques distribués en France et aux Etats-Unis en 2008 pour pousser la population à changer de voiture et maintenir une industrie à flot, même très polluante.
Enfin, la baisse du pétrole n’est pas une bonne nouvelle: elle rend les énergies renouvelables nettement moins compétitives par rapport aux énergies fossiles. Les marchés financiers l’ont déjà intégrée dans les prix. Même si les cours des sociétés liées à la transition climatique ont moins corrigé que celles actives dans le fossile, elles sous-performent néanmoins largement les indices globaux dans la phase de baisse abrupte que nous vivons.
Toute crise est une opportunité
Alors, enterré l’ISR? Pas si vite. D’abord, cette crise – qui peut être considérée comme une «bonne nouvelle» pour les émissions de CO2, désormais en baisse – ne sera que temporaire. Le climat nécessite des mesures fortes, des investissements colossaux et des changements de modèles d’affaires importants. L’Europe, même affaiblie, est déterminée. La tendance est inéluctable. Par ailleurs, comparé à la situation d’il y a quelques années, le sujet de l’ISR a mûri. On sait aujourd’hui qu’il est possible, notamment au travers d’indices ESG, de construire des portefeuilles à la fois efficients en termes de rendement et de risque, et offrant un profil avantageux en termes de durabilité.
Enfin, et ce n’est pas la moindre des nouvelles, il est à noter que ces indices ont parfaitement tenu le choc jusqu’ici, en réalisant des performances en ligne ou meilleures que les univers traditionnels. Ce qui était considéré à l’époque comme une thématique est devenu mainstream.
En conséquence, plutôt que de tuer l’ISR, cette crise pourrait avoir plutôt pour conséquence de le faire mûrir. Il y aura des gagnants et des perdants. Ce pourrait même être la fin du greenwashing, des promesses douteuses, et qui sait, faire entrer la notion de durabilité, en particulier la problématique du climat, au cœur même de tous les portefeuilles. Toute crise est une opportunité, comme dit le proverbe chinois. Reste à la saisir.