
CHRONIQUE. Dans son nouveau livre, Samuel Fitoussi explique comment il est possible que des esprits brillants défendent des idées absurdes et des régimes qui font des millions de morts
En 1957, au retour d’un voyage en Chine, Simone de Beauvoir loue le régime maoïste en affirmant que «le programme appliqué est celui qu’aurait adopté n’importe quel gouvernement moderne et éclairé, soucieux de faire progresser son pays». Elle prétend par ailleurs que Mao n’est nullement un dictateur et n’a pas davantage de pouvoir qu’avait pu en avoir un Roosevelt. Elle qui croyait dur comme fer aux bienfaits du collectivisme, refusa sur place de voir ce qu’elle voyait et préféra raconter ce qu’elle aurait souhaité avoir vu. Nous savons aujourd’hui que le communisme, loin du paradis sur terre, fut bien un totalitarisme criminel, entraînant des dizaines de millions de morts. Le plus intrigant est qu’elle ne fut pas la seule intellectuelle illustre de son temps à se fourvoyer sur le sujet.
Dans Pourquoi les intellectuels se trompent Samuel Fitoussi se demande comment il est possible que les grands esprits puissent à ce point se tromper, sans voir leur réputation durablement détruite. Une piste pour expliquer ces erreurs se trouve dans notre façon de mobiliser nos capacités cognitives. Nous ne les utilisons pas que pour chercher la vérité, mais aussi pour avoir une bonne réputation et des amis. Nous avons une rationalité «épistémique» – la capacité à adopter des croyances valides, dans le but d’atteindre la vérité – mais aussi, une rationalité «sociale». Fitoussi indique que «tout au long de notre histoire évolutive, la réputation d’un individu – dont dépend sa capacité à bénéficier de la protection des autres, à trouver des partenaires […] – a souvent été plus importante pour sa survie que l’exactitude des idées auxquelles il adhérait». Autrement dit, par peur de déplaire à nos semblables, nous embrassons parfois des idées absurdes, mais majoritaires. Le processus de sélection a donc favorisé la capacité à rationaliser des consensus, et non pas celle de faire émerger et défendre la vérité. Ce qui fait dire à Fitoussi que «nous ne sommes pas les descendants de Copernic et de Galilée, mais de la foule qui les condamnait».
Voir plus