
Bruxelles veut permettre à ses Etats membres d’interdire toute importation de méthane en provenance de Russie dans l’optique de s’en affranchir totalement en 2027. On en est encore loin, notamment en Suisse
L’Union européenne veut étreindre la Russie davantage. Bruxelles s’apprête en effet à donner à ses Etats membres le pouvoir d’interrompre les importations de gaz en provenance de Russie et de la Biélorussie, a rapporté le Financial Times vendredi.
Ce projet vise à permettre à tout Etat membre d’empêcher les entreprises russes et biélorusses d’utiliser ses gazoducs et ses terminaux de GNL. Le texte doit être discuté par des représentants d’Etats vendredi avant d’être formellement approuvé par le Parlement. Contactée par Le Temps, la Commission européenne n’a pas souhaité faire de commentaires à ce sujet.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’UE a cherché à progressivement réduire sa dépendance au gaz russe, sans l’interdire, pour assécher les finances du Kremlin tout en évitant de créer une flambée des prix trop brusque et une crise énergétique sur le continent. Bruxelles s’est fixée comme but de s’affranchir totalement des hydrocarbures russes d’ici à 2027. Le brut et les produits pétroliers russes font par contre l’objet de [sanctions](https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/sanctions-against-russia-explained/#:~:text=L'UE a interdit le,ou d'une aide financière.) en Europe depuis à peu près un an. Jusqu’à présent, les résultats de cette politique ont été mitigés.
### De la moitié à 12% du gaz
L’UE a certes largement réduit sa dépendance à l’égard de l’énergie russe après le début de la guerre en Ukraine en février 2022. Avant le conflit, en moyenne près de la moitié du gaz consommé sur le continent venait du pays de Vladimir Poutine. Au troisième trimestre de cette année, 12% du gaz livré dans l’EU est venu de Russie, via des gazoducs ou par le biais des livraisons de gaz naturel liquéfié (GNL), selon l’agence européenne de statistiques Eurostat. L’Europe, et notamment l’Allemagne industrielle, carbure largement au gaz russe, tout comme des pays de l’Est, et l’Autriche pour des [raisons historiques](https://www.letemps.ch/economie/energie/un-demisiecle-dechanges-gaziers-tension-entre-leurope-russie).
Les livraisons par méthanier (des bateaux transportant du GNL) sont même en hausse. Elles ont atteint des volumes records durant les six premiers mois de l’année. De janvier à juillet, les importations en EU de GNL russe ont augmenté de 40% par rapport à la même période de 2021. Durant ce laps de temps, la Belgique et l’Espagne ont été les principaux acheteurs mondiaux de GNL russe après la Chine, selon l’ONG Global Witness.
Une importante partie – difficile à quantifier – du GNL exporté de Russie transite aussi par des ports européens avant de partir ailleurs dans le monde. Cette pratique a été interdite aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, mais elle est permise et répandue en France, en Belgique et en Espagne.
En 2021, 41% du gaz utilisé en Suisse venait de Russie, une proportion qui avait baissé à 19% l’an dernier et qui, pour l’instant, tourne autour des 9% en 2023, selon l’Association suisse de l’industrie gazière (ASIG). La part du gaz dans la consommation totale d’agents énergétiques du pays est passée de 15,4% en 2021 (un record) à 13,3% l’an dernier, selon l’Office fédéral de l’énergie.
### «Cela vaut également pour la Suisse»
«L’objectif de l’UE est de devenir indépendante du gaz russe. Cela vaut également pour la Suisse, qui achète son gaz exclusivement auprès des pays de l’UE. En développant l’infrastructure GNL en Europe, il est possible de réduire continuellement la dépendance vis-à-vis du gaz russe», indique Thomas Hegglin, un porte-parole de l’ASIG.
L’Europe semble être parvenue à écarter les menaces de pénuries énergétiques pour cet hiver. Le continent est parvenu à remplir ses réserves de gaz, plus que les autres années, en sollicitant notamment des cuves ukrainiennes pour en avoir encore plus. «La crise énergétique de l’Europe est terminée», a [écrit](https://www.reuters.com/business/energy/europes-energy-crisis-is-over-kemp-2023-11-28/) fin novembre John Kemp, un analyste de Reuters qui relève qu’un peu partout dans le monde, contrairement à il y a un an, l’offre en gaz, en pétrole et en charbon est à nouveau «confortable».
Les sanctions sur le pétrole russe ne semblent par contre pas avoir eu autant d’effets qu’escompté sur les finances du Kremlin. Les fournisseurs russes ont trouvé d’autres acheteurs, notamment chinois, pour remplacer les grands traders suisses (Trafigura, Glencore et Vitol), qui étaient avant 2022 leurs principaux clients (seul le négociant genevois Litasco continue d’en acheter en abondance, par le biais d’une filiale à Dubaï), selon [Bloomberg](https://www.bloomberg.com/news/features/2023-12-06/oil-prices-how-russia-punched-an-11-billion-hole-in-west-s-sanctions-regime). L’agence affirme que, par mois, le pétrole russe rapporte actuellement plus d’argent au Kremlin qu’avant la guerre en Ukraine.