
La Suisse a réagi à la baisse de la demande chinoise et européenne en exportant davantage vers les Etats-Unis. La menace de nouveaux tarifs douaniers américains pourrait dès lors impacter des secteurs clés tels que les produits pharmaceutiques, les machines et l’horlogerie. Nous examinons les perspectives économiques et les opportunités d’investissement dans un contexte de taux d’intérêt bas
La vigueur de l’économie américaine a permis d’amortir le ralentissement de la croissance dans les pays voisins de la Suisse. Depuis 2020, les Etats-Unis sont devenus le premier marché pour les exportations suisses en termes de valeur, dépassant une Allemagne en stagnation. En termes de produit intérieur brut (PIB), la Suisse est aussi l’économie européenne la plus dépendante d’exportations vers les Etats-Unis: entre juillet 2023 et juin 2024, elle y a exporté en moyenne l’équivalent de 6,7% de son PIB.
Mais avec la menace de droits de douane de l’administration Trump, cette dépendance à l’égard de l’économie américaine pourrait s’avérer une arme à double tranchant.
La Suisse possède une marge de manœuvre pour accéder à un compromis. Les accords commerciaux signés avec les Etats-Unis permettent aux entreprises suisses axées sur l’exportation de s’impliquer plus largement dans des accords visant à obtenir des droits de douane plus bas en échange d’investissements directs à l’étranger. La Suisse est déjà le septième investisseur étranger aux Etats-Unis, a rapporté le Département fédéral des affaires étrangères en août 2024. L’approche transactionnelle du président Trump pourrait limiter l’impact des tarifs. En outre, les exportations suisses vers les Etats-Unis concernent généralement des biens à forte valeur ajoutée, moins sensibles aux prix, tels que les produits pharmaceutiques, les machines de précision ou les produits de luxe. Des taxes modérées ne devraient donc pas perturber la demande américaine pour ces exportations.
La Suisse est déjà le septième investisseur étranger aux Etats-Unis, a rapporté le Département fédéral des affaires étrangères en août 2024
Pourtant, l’expansion économique devrait se poursuivre, avec une croissance du produit intérieur brut (PIB) réel suisse légèrement supérieure à 1% en 2025. Grâce à la baisse des prix de l’énergie et à la fermeté du franc suisse, qui a réduit le coût des biens importés, l’inflation reflue rapidement. En décembre de l’année dernière, la BNS a réduit son taux directeur de 50 points de base, le ramenant à 0,5%, afin de suivre la cadence de la Banque centrale européenne, laquelle se réunit plus fréquemment.
L’inflation devrait rester faible, avec une moyenne que nous estimons à 0,7% environ pour 2025. La BNS pourrait se voir contrainte d’abaisser son taux directeur à un niveau proche de zéro lors de sa prochaine réunion de fixation des taux en mars. La banque centrale dispose d’une marge de manœuvre pour intervenir sur le marché des changes, même si cela semble peu probable avant mi-2025. Une fois cette porte rouverte, cependant, la prochaine phase de la politique monétaire pourrait-elle consister en un retour des taux négatifs?
Nous ne le pensons pas, du moins pas pour l’instant. La BNS ne semble pas s’alarmer de la force du franc et voudra probablement épuiser ses autres outils de politique monétaire avant de recourir aux taux d’intérêt négatifs. Lorsque les taux seront encore plus proches de zéro, elle pourra accroître son bilan pour ralentir l’appréciation du franc suisse et limiter la déflation importée.
A horizon d’un an, le taux de change USD/CHF devrait se maintenir dans une fourchette de 0,88 à 0,92. En revanche, et sur la même période, le franc suisse devrait se renforcer par rapport à l’euro pour atteindre 0,86. Les raisons en sont structurelles: l’important excédent commercial de la Suisse vis-à-vis de la zone euro signifie que les exportateurs suisses achètent plus de francs, créant ainsi une pression naturelle à l’appréciation.
Historiquement, les interventions de la BNS sur le marché des changes ont freiné le renforcement du franc suisse par rapport à la monnaie commune. Le recul du taux de change réel du franc, sous l’effet de l’appréciation du dollar américain, rend toutefois de telles interventions moins urgentes. Si les Etats-Unis venaient à imposer des droits de douane sur les exportations suisses, le dollar pourrait se raffermir encore par rapport au franc suisse – un mouvement qui serait cependant de courte durée.
La Suisse continuera à faire figure d’exception sur le plan économique, avec des taux d’intérêt structurellement plus bas que ceux des autres marchés développés. Son taux directeur «neutre», qui ne stimule ni ne freine l’économie, est de 0,5% selon nos estimations, bien en deçà des autres marchés. Pour les investisseurs suisses, générer des rendements par le biais d’obligations souveraines ou d’obligations d’entreprise suisses représente ainsi un défi.
Contrairement aux anticipations du marché, les obligations libellées en francs suisses ont surperformé en 2024. Pourront-elles continuer à afficher de tels rendements dans l’éventualité d’une nouvelle baisse du taux directeur? Si le taux final de la BNS devait atteindre zéro, les obligations de la Confédération pourraient offrir un rendement total proche de 1,3%. Leurs homologues européennes devraient pour leur part surperformer, dans la mesure où nous tablons sur un taux final de la BCE de 1,25% d’ici à fin 2025.
Du côté du crédit, nous pensons aussi que les obligations libellées en euros surperformeront leurs équivalentes en francs suisses. Nous privilégions par ailleurs les obligations européennes couvertes en francs suisses, étant donné le coût élevé des couvertures d’obligations libellées en dollars américains et donc de leur impact sur la performance en francs suisses.
Compte tenu des taux suisses bas, une exposition à l’immobilier suisse peut constituer une source alternative de revenus au fil du temps. Du point de vue de l’investisseur, le secteur est soutenu par de faibles taux de vacance, une forte demande et des valeurs locatives en hausse, renforcée par les fondamentaux. L’écart de rendement et les valorisations actuelles indiquent que le rendement excédentaire attendu des investissements immobiliers dépasse de plus de 2,5% celui des obligations suisses de qualité.
En janvier, la bourse suisse a enregistré d’excellentes performances. Nous maintenons l’exposition aux actions suisses à des niveaux stratégiques dans nos portefeuilles multi-actifs. Les valorisations sont actuellement neutres, en ligne avec leurs moyennes de long terme, et le marché se concentre sur une poignée de secteurs tels que les biens de consommation courante ou la santé, dont les tendances fondamentales s’améliorent.