
Que se cache-t-il derrière le prix de l’une des boissons les plus consommées au monde? «Le Temps» a profité du World of Coffee, salon international dédié au café de spécialité qui se déroulait fin juin à Genève, pour interroger une productrice kényane, une facilitatrice de l’ONU et un torréfacteur romand sur la rémunération de tous les intermédiaires de la chaîne de production
Le prix moyen d’un café en Suisse s’élève à 4,58 francs, selon la dernière étude de CafetierSuisse. C’est 9 centimes de plus qu’un an auparavant. Comment expliquer une telle hausse et surtout le prix du café aujourd’hui à Genève?
La ville, aussi connue comme une importante place financière de matière première, accueillait fin juin le World of Coffee, un salon international dédié au café de spécialité, c’est-à-dire un grain haut de gamme, issu d’une culture raisonnée, qui ne représente que quelques pour cent du commerce mondial.
Producteurs et productrices, plateformes d’échange, torréfacteurs et torréfactrices, tenanciers et tenancières de café, baristas… se retrouvaient pour l’occasion. Comme la Suisse est le deuxième exportateur de café derrière le Brésil, avec 3,46 milliards de francs exportés en 2024 sans qu’une seule cerise (le fruit du café) ne pousse dans les Alpes, il s’agissait donc d’une bonne opportunité pour interroger tous les intermédiaires de la chaîne sur la répartition des coûts.
Le difficile essor de la vente directe
Gloria Gummerus est productrice de café au Kenya: «Nous vendons notre café 10 dollars le kilo, parfois plus selon la qualité.» Un tarif tout à fait acceptable pour Anne Chepkoech, coordinatrice pour le Kenya d’un programme financé par les Nations unies et l’Organisation mondiale du commerce (Markup II de l’International Trade Centre). «Tout ce qui se situe entre 5 et 15 euros le kilo est vraiment un bon prix.»
«Dans le secteur du café, lorsqu’on parle de revenus, on pense à réduire la distance entre les vendeurs et les acheteurs, continue la facilitatrice kényane. C’est donc en faisant du commerce direct que l’on voit plus d’argent aller dans les poches des exportateurs ou de nos PME.»
Mais si tant d’intermédiaires ont un temps existé, c’est que leur savoir-faire devait être nécessaire. Eddy El Bounabi, fondateur d’Utopia, qui tient un atelier de torréfaction à Gland et plusieurs coffee shops en Suisse romande, le reconnaît volontiers. Il a d’abord voulu tout gérer lui-même en direct: «Au tout début, on a voyagé beaucoup, on a serré des mains, on a goûté là-bas, on se faisait importer en direct.» Verdict? «Très compliqué.»
«Les producteurs de café rencontrent souvent des difficultés à établir des normes qualité et sécurité. Ils peinent aussi à atteindre les acheteurs, concède Anne Chepkoech. Son programme propose un soutien logistique aux petites exploitations de quelques centaines de travailleurs. Le torréfacteur romand, lui, a trouvé une autre solution pour s’assurer de la qualité et faciliter l’exportation. «Aujourd’hui, on a ce sourceur qui est entre nous mais du coup on sait combien on le paie et combien on paie les producteurs, dans le sens ou on négocie le prix avec le producteur, pas avec le sourceur.»
Mieux payer les ouvriers des cultures de café
Si la filière du café de spécialité peut s’extraire des fluctuations des marchés financiers et éviter les intermédiaires, ce n’est pas le cas de la filière commerciale, qui représente encore 95% des échanges. Il y a là un enjeu crucial, d’autant que la production de café, toutes qualités confondues, a augmenté de 50% au cours des vingt dernières années.
Les aléas climatiques (pluies ou chaleurs intenses) viennent perturber les cultures et participent à faire grimper les prix comme ce fut le cas au Brésil et au Vietnam notamment en 2024. En bout de chaîne, une dernière composante contribue à corser l’addition: la rémunération des travailleurs. Sur ce point, une récente enquête de Public Eye a révélé les pratiques frauduleuses de Nestlé. Force est de constater que, même avec un prix élevé, que le café soit de spécialité ou non, les ouvriers agricoles employés dans les cultures peinent à récolter le juste fruit de leur travail.