
Chers et pas toujours efficaces, les produits médicamenteux nouvellement mis au point par les acteurs pharmaceutiques contribueraient fortement à la hausse des coûts de la santé. C’est en tout cas le constat que dresse Philomena Colatrella, CEO de la CSS. Explications
Dans la problématique de l’augmentation des coûts liés à la santé, la mise sur le marché de nouveaux médicaments serait devenue l’un des premiers facteurs haussiers, même si une forte croissance est également notable dans d’autres domaines. Si le développement des traitements de pointe s’avère bien entendu précieux pour la santé, l’efficacité de ces derniers n’est pas toujours prouvée et leur prix explose. Dans ce contexte, pour Philomena Colatrella, CEO de la CSS, il est impératif de pouvoir moderniser le système de mise sur le marché des médicaments.
Parmi les facteurs les plus décisifs en matière de hausse des coûts de la santé, vous pointez les nouveaux médicaments. Expliquez-nous cela.
Philomena Colatrella: Il faut en effet savoir que les nouveaux médicaments contribuent pour un tiers à la hausse des coûts de la santé dans l’assurance obligatoire des soins (AOS). Il s’agit d’ailleurs d’un phénomène que le CSS Institut a analysé dans une étude de 2024 et qui se confirme depuis une dizaine d’années déjà. Les nouveaux médicaments, remboursés par l’AOS entre 2013 et 2022, ont ainsi entraîné un surcoût de près de 200 francs par assuré. Parallèlement, il faut aussi noter que les dépenses pour les médicaments déjà autorisés sur le marché ont, quant à elles, baissé d’environ 60 francs, notamment grâce à l’essor des génériques. Contrairement à ce que l’on pense souvent, le vieillissement de la population n’est donc pas en cause dans la problématique de l’augmentation des coûts de la santé. Ce facteur n’engendre en réalité qu’un septième de l’augmentation des coûts. Je tiens par ailleurs à souligner que la CSS s’engage en faveur de l’accès aux médicaments innovants. Ceux-ci permettent de traiter des maladies jusqu’alors incurables et d’améliorer considérablement notre qualité de vie. Il est toutefois important que leur prix reste abordable afin que l’assurance de base puisse continuer à financer l’innovation à long terme.
Les nouveaux médicaments contribuent pour un tiers à la hausse des coûts de la santé dans l’assurance obligatoire des soins (AOS)
Que faudrait-il changer pour limiter la hausse des dépenses dues aux médicaments?
Il faut agir sur l’évaluation de l’efficacité et la fixation du prix des médicaments. Autrement dit, l’efficacité doit être solidement prouvée et les prix doivent rester raisonnables. Ce qui n’est pas facile, car si l’innovation médicale est indispensable pour notre santé, la course à l’innovation, qui s’est intensifiée depuis quinze ans, rend l’évaluation plus complexe. Par conséquent, les études cliniques à long terme ne sont pas toujours disponibles, ni celles qui permettent de démontrer la plus-value d’une nouveauté par rapport aux formules similaires préexistantes. Les thérapies personnalisées et très ciblées, qui se multiplient, peinent en outre à fournir des études cliniques à grande échelle montrant leur efficacité. Quant au prix, l’OFSP bute sur un manque de transparence des coûts de la recherche et de la production, mais aussi sur des comparaisons avec l’étranger faussées puisque basées sur des prix vitrines souvent différents du prix effectivement payé. Sans parler de certains principes, comme celui qui voudrait par exemple qu’un pays à fort pouvoir d’achat, comme la Suisse, doive payer davantage. En somme, les critères d’évaluation des médicaments ne sont plus adaptés et il est urgent de les revoir.
Dans cette optique, en quoi consiste le concept de détermination du prix dynamique?
C’est l’idée de revoir à la baisse le prix des médicaments qui génèrent un volume de dépenses important. S’il est juste que le fabricant puisse couvrir ses frais et réaliser des bénéfices pour continuer à investir dans la recherche, il est aussi juste de limiter les coûts pour des assurés captifs qui doivent, quoi qu’il arrive, financer ces coûts par leurs primes et se soigner lorsqu’ils sont malades. Concrètement, ce modèle d’impact budgétaire permettrait à l’OFSP de baisser le prix lorsqu’un médicament réalise plus de 20 à 25 millions de francs de chiffre d’affaires annuel. Cela concerne une cinquantaine de produits. Le potentiel d’économie est de 300 à 400 millions de francs. Bien sûr, il faut aussi veiller à garantir le bon approvisionnement du marché suisse. La CSS a d’ailleurs soutenu cette mesure récemment adoptée par le parlement.
Existe-t-il encore un potentiel d’économie grâce aux génériques?
Il y a encore des progrès à faire. Les prix des génériques sont encore trop élevés. Ils sont en moyenne 45% moins chers à l’étranger et certains antibiotiques sont même deux fois moins chers en France. Leur utilisation peut également être étendue davantage. Plusieurs mesures entrées en vigueur l’année dernière vont cependant dans la bonne direction. La rétribution des pharmaciens a été uniformisée: qu’il s’agisse d’une préparation originale ou d’un générique, leur part est désormais la même. La révision de la fixation des prix, là aussi selon le chiffre d’affaires, permet de rendre les génériques encore plus avantageux. Leur attractivité est en outre renforcée par une quote-part relevée à 40% pour les préparations originales, sauf lorsque le recours à l’original est médicalement nécessaire. Environ 500 millions de francs sont ainsi économisés chaque année, et le potentiel supplémentaire est évalué à près de 200 millions.
Comment l’actualisation de la liste des médicaments remboursés par l’AOS peut-elle jouer un rôle?
Toutes les prestations remboursées doivent respecter les critères de l’efficacité, l’adéquation et l’économicité (EAE), ce qui est d’ailleurs précisé dans la loi sur l’assurance maladie (LAMal). Les médicaments remboursés selon la LAMal doivent donc aussi respecter ces critères. Il faut également pouvoir accélérer l’actualisation des prestations LAMal selon les critères EAE auprès de l’OFSP pour intervenir lorsqu’un médicament ne les respecte pas.
Le coût de certains médicaments tels que le Wegovy, un nouveau médicament contre l’obésité, oblige-t-il à revoir le principe de solidarité de la LAMal?
Les prescriptions de Wegovy ont augmenté à la suite du remboursement de ce médicament par la LAMal depuis un an. Nos projections pour 2025 indiquent en outre des coûts supplémentaires d’environ 45 millions de francs. Le Wegovy fait ainsi partie d’une nouvelle catégorie de médicaments qui, associés à un régime hypocalorique et davantage d’activité physique, permettent à des personnes en surpoids de perdre 10 à 15% de leur poids. Il faut savoir que, en termes médicaux, l’obésité se caractérise comme étant une maladie du tissu adipeux qui s’étend trop et impacte les autres organes. Ce traitement permet d’en réduire les effets secondaires à condition d’être pris sur une longue période. En Suisse, jusqu’à 1,5 million de personnes sont concernées, ce qui pourrait coûter jusqu’à 3,5 milliards de francs à la LAMal. Cela pose bien sûr de nombreuses questions quant au système de santé. Comment prévenir cette maladie et inciter les malades à changer leurs habitudes de vie pour optimiser le traitement? Quelles sont les alternatives aux médicaments contre le surpoids pour perdre du poids? Autant de questions essentielles dont il faut discuter, car la Suisse, en comparaison avec la France ou avec l’Allemagne, se montre très généreuse dans cette prise en charge.