
Face à l’explosion démographique globale, assurer l’approvisionnement alimentaire tout en respectant l’environnement et les populations locales des pays producteurs constitue un défi. Dans ce cadre, le négoce de matières premières joue un rôle crucial pour assurer la sécurité alimentaire

Derrière l’abondance des supermarchés se cache une chaîne logistique complexe, orchestrée par des acteurs souvent méconnus du grand public: les négociants de matières premières. Alors que la population mondiale devrait atteindre 10 milliards d’individus d’ici à 2050, ces entreprises doivent relever le défi de nourrir la planète tout en répondant à des exigences croissantes en matière de durabilité.
Pour comprendre les rouages de ce secteur, deux acteurs aux approches distinctes mais complémentaires – Webcor Group, basé à Genève et spécialiste de l’importation et de la transformation en Angola, et Socfin, groupe intégré de production et transformation d’huile de palme basé à Fribourg et présent dans huit pays africains, dont le Ghana – exposent les enjeux et défis de leur domaine d’activité.
Des stratégies complémentaires pour sécuriser l’approvisionnement
«Notre rôle a considérablement évolué ces dernières années», explique Guillaume Coupez, directeur financier de l’antenne genevoise de Webcor. «D’une simple mission de négociation, nous sommes passés à des investissements significatifs dans des infrastructures de transformation industrielle. Cette mutation répond à une demande croissante des pays consommateurs de développer leur propre capacité de production.»
Pour Ludovic Saint-Pol, directeur de la communication et des relations publiques de Socfin, l’approche du groupe repose avant tout sur une stratégie intégrée et ancrée sur le terrain. L’entreprise s’efforce de maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur – de la production à la commercialisation – afin d’assurer une traçabilité totale et de garantir le respect des normes environnementales et sociales, notamment par la certification Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO) dans l’ensemble de ses huileries. Ce positionnement, qui repose sur une connaissance approfondie des contextes locaux, se traduit en outre par des partenariats solides avec les communautés concernées ainsi que par un investissement significatif dans des infrastructures essentielles.
Ancrage local, au-delà de l’extraction des ressources
L’impact sur les économies locales constitue un enjeu central pour ces entreprises. «En Angola, nous transformons des produits bruts comme le blé, le riz ou l’huile de palme dans nos moulins industriels et nos raffineries, détaille Guillaume Coupez. Cette approche s’aligne parfaitement sur la stratégie du pays qui encourage la transformation locale des matières premières via une politique douanière adaptée.»
Cette création de valeur sur place se traduit par des retombées concrètes. Webcor revendique une politique dans laquelle 80% de la main-d’œuvre est locale, avec une attention particulière à l’équilibre hommes-femmes. Ces emplois qualifiés constituent un précieux transfert de compétences.
De son côté, Socfin renforce son ancrage territorial en adoptant un positionnement intégré et durable. Ses plantations et ses installations en Afrique de l’Ouest emploient plus de 45 000 personnes au total, ce qui témoigne d’un engagement fort envers le développement économique local. Au Cameroun, par exemple, le groupe a mis en œuvre un dispositif novateur destiné aux planteurs villageois, leur offrant un soutien adapté et des débouchés commerciaux, consolidant ainsi leur autonomisation économique et l’amélioration de leur compétitivité sur le marché.
«Notre présence durable s’accompagne d’investissements significatifs dans les infrastructures locales. Nous construisons et entretenons des routes, des établissements scolaires, des structures hospitalières et des logements, tout en investissant dans des projets de développement communautaire qui renforcent la cohésion sociale et dynamisent les territoires. Ces actions contribuent concrètement à l’amélioration des conditions de vie des communautés environnantes et au développement des zones dans lesquelles nous opérons», souligne Ludovic Saint-Pol.
Notre présence durable s’accompagne d’investissements significatifs dans les infrastructures locales
Ludovic Saint-Pol, directeur de la communication et des relations publiques de SocfinSecteur privé et sécurité alimentaire, une alliance nécessaire
L’implication d’acteurs privés dans un domaine aussi essentiel et stratégique que l’alimentation soulève des questions légitimes sur la souveraineté alimentaire des pays hôtes. Pourtant, les deux entreprises estiment que leur présence renforce plus qu’elle n’affaiblit cette autonomie.
«Nos investissements dans la transformation locale attirent des capitaux étrangers tout en dotant le pays d’infrastructures industrielles de pointe», argumente Guillaume Coupez. La raffinerie d’huile de palme de Webcor en Angola, fruit d’un investissement de 67 millions de dollars, en témoigne.
Pour le groupe Socfin, cela se traduit par une vision où développement économique et sécurité alimentaire vont de pair. «Notre modèle intégré renforce la souveraineté alimentaire en développant des capacités de production durable ancrées dans les territoires», ajoute Ludovic Saint-Pol.
Nos investissements dans la transformation locale attirent des capitaux étrangers tout en dotant le pays d’infrastructures industrielles de pointe
Guillaume Coupez, directeur financier de l’antenne genevoise de WebcorL’huile de palme, entre efficacité et controverses
Le cas de l’huile de palme illustre parfaitement les dilemmes du secteur. Décriée pour son impact environnemental, elle reste néanmoins une ressource précieuse pour de nombreuses populations.
«C’est un produit complexe qui présente à la fois des défis et des opportunités, reconnaît Guillaume Coupez. Son rendement à l’hectare est inégalé, ce qui en fait une source d’huile végétale particulièrement efficace en termes d’utilisation des terres.»
Les deux entreprises mettent en avant leurs efforts pour minimiser l’impact de cette culture. Socfin indique que, depuis 2024, 100% de sa production d’huile de palme est désormais certifiée RSPO et la plupart de ses plantations bénéficient de la certification ISO 14001, tandis que Webcor s’engage à promouvoir ces certifications auprès de ses partenaires. Leur approche reflète une prise de conscience du secteur face aux défis environnementaux. Techniques agricoles alternatives, recyclage des déchets organiques, protection des zones à haute valeur de conservation: les initiatives durables se multiplient, même si le chemin vers une durabilité totale reste encore long.
Un équilibre fragile à préserver
L’avenir du négoce alimentaire mondial se joue sur un équilibre délicat. D’un côté, répondre aux besoins croissants d’une population mondiale en expansion. De l’autre, limiter l’impact environnemental et assurer un développement équitable des territoires producteurs.
Les exemples de Webcor et Socfin montrent que des réponses existent, même si elles restent perfectibles. La transformation locale des matières premières, l’implication des communautés concernées et les certifications environnementales constituent des pistes prometteuses pour un modèle plus durable. Face à l’urgence climatique et alimentaire, la transition du secteur devra s’accélérer. L’enjeu dépasse en effet largement le cadre commercial puisqu’il s’agit avant tout d’assurer la sécurité alimentaire collective, tout en préservant les ressources de la planète pour les générations futures.