Dans son discours de Jackson Hole, le président de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell, a clairement laissé entendre qu’une baisse des taux était envisagée, vu la fragilité du marché du travail. Au détriment de l’inflation, toujours élevée et sujette à accélération à cause des tarifs douaniers
Les investisseurs étaient impatients d’écouter le discours de Jerome Powell à Jackson Hole, vendredi, et ils n’ont pas été déçus. Mieux encore, ils ont entendu ce qu’ils espéraient entendre: la Réserve fédérale américaine (Fed) envisage de baisser ses taux d’intérêt. Les marchés sont maintenant persuadés qu’elle les coupera déjà mi-septembre, lors de sa prochaine réunion, et que quatre autres cuts suivront d’ici à septembre 2026, pour ramener les taux les plus observés de la planète aux alentours de 3%. Reste que le puzzle que doit résoudre la Fed contient des pièces de forme inhabituelle et particulièrement instables.
Pour son dernier discours en tant que grand argentier américain, «Jay» Powell a rappelé le double mandat de la Fed: assurer la stabilité des prix et favoriser le plein-emploi. Or ces deux dimensions sont actuellement affectées par des dynamiques sortant de l’ordinaire. Habituellement, lorsque la croissance tourne à la surchauffe, une poussée de l’inflation nécessite une hausse des taux pour ralentir le moteur économique. Ici, les choses ne sont pas si simples.
Tout d’abord, l’inflation présente le risque d’accélérer dans un avenir proche, sous l’effet des tarifs douaniers instaurés par l’administration Trump, a reconnu Jerome Powell. Les statistiques de juillet ont apporté de premières indications dans ce sens, tandis qu’une nouvelle vague de tarifs douaniers américains – dont ceux de 39% sur les produits suisses – est entrée en vigueur depuis. Les entreprises ne pourront pas éternellement baisser leurs marges pour contrecarrer leur effet. Cette perspective d’un pic ou d’une pointe d’inflation militerait donc pour une stabilité des taux à court terme américains.
Mais le marché du travail se trouve aussi dans une situation «inhabituelle», a précisé Jerome Powell. Embauches et licenciements sont peu nombreux, les effectifs progressent modérément et le taux de chômage demeure bas. L’offre et la demande de main-d’œuvre ralentissent de concert, si bien que le marché de l’emploi se trouve dans un curieux et fragile équilibre. Le risque d’une augmentation du chômage devient plus marqué. Dans la caisse à outils des banques centrales, cela signifie qu’il faudrait baisser les taux pour soutenir la croissance. Avec l’inconvénient de risquer d’alimenter la hausse des prix.
La Fed a choisi de résoudre ce dilemme en se préoccupant davantage du marché de l’emploi, et en annonçant clairement une baisse des taux à venir. En jargon de banque centrale, on dit que la situation actuelle «pourrait justifier un ajustement de notre orientation politique». Mais le message est passé: tout le monde s’attend à une baisse prochaine des taux.
La logique est la suivante: la situation du marché du travail fait craindre un ralentissement économique et il s’agit d’éviter que ce dernier ne tourne à la récession. Mais en même temps, ce ralentissement contribuerait à freiner l’inflation, de manière naturelle en quelque sorte.
Et si l’inflation accélère encore?
Que se passera-t-il si les prix augmentent encore plus rapidement dans les semaines et les mois à venir? L’inflation redeviendrait le principal problème de l’économie américaine et abaisser les taux deviendrait certainement plus délicat. Les investisseurs porteront leurs regards vers les prochaines statistiques sur les créations d’emplois en août (publiées le 5 septembre) puis les chiffres des prix à la consommation (10 septembre) et à la production (11 septembre). Soit avant la prochaine décision de la Fed sur ses taux, le 17 septembre.
Pour ajouter un peu de suspense, on rappellera que les membres du comité de la Fed ne sont pas unanimes. Certains estiment que l’inflation reste trop vive pour pouvoir soutenir le marché du travail comme le réclament d’autres, via une baisse des taux qu’exige Donald Trump depuis des mois, dorénavant en essayant de pousser à la démission certains membres de ce comité. Dans ce contexte, la Fed rappelle inlassablement qu’elle est data dependent – qu’elle prend ses décisions sur la base des chiffres. Les prochains seront particulièrement intéressants à suivre.